LoiLATMP
TitreII LA NOTION DE LÉSION PROFESSIONNELLE: ART. 2, 25 À 31
Section4. Maladie professionnelle: art. 2, al. 15, 29 et 30
4.1 Application et renversement de la présomption de maladie professionnelle: art. 29
4.1.2 Maladies causées par des produits ou substances toxiques (Annexe I, section I)
Titre du document4.1.2.2 Intoxication par les hydrocarbures aliphatiques, alicycliques et aromatiques
Mise à jour2011-11-01


Application de la présomption

Généralités

La notion d'intoxication prévue à l'annexe I doit être interprétée de façon à inclure l'intoxication aiguë et/ou chronique. De plus, il n'est pas nécessaire pour l'application de la section I de l'annexe I de la loi que le médecin du travailleur pose strictement le diagnostic d'«intoxication», surtout s'il s'agit d'une intoxication chronique, sans avoir la confirmation d'une exposition suffisante au produit toxique. Par conséquent, si le travailleur démontre que l'exposition à la substance toxique a été suffisante pour être la cause plausible de la maladie diagnostiquée, alors cette maladie constitue une intoxication au sens de l'annexe I de la loi et le premier élément de la présomption a été prouvé: Stacey et Allied Signal Aérospatiale inc., [1997] C.A.L.P. 1713.

Pour pouvoir bénéficier de la présomption, il doit faire une preuve à deux volets, soit une intoxication à une substance toxique déterminée à l'annexe 1 et une exposition à cette substance dans le cadre du travail. Pour conclure à l'intoxication, le seuil d'exposition n'a pas à dépasser un niveau particulier, l'exposition n'a pas à être aiguë, sévère ou au delà des normes reconnues. Il n'y a pas lieu de refuser d'appliquer la présomption en se fondant sur le fait que l'encéphalopathie toxique n'est pas une maladie mentionnée à l'annexe 1. La loi ne requiert pas que la maladie soit spécifiquement mentionnée à cette annexe, seulement que la preuve établisse qu'elle est générée par l'intoxication. Il n'y a pas lieu de refuser une réclamation en raison de l'absence de preuve scientifique de l'exposition, car cette exigence de preuve scientifique n'est pas conforme à l'esprit de la loi. En effet, elle est trop onéreuse pour le travailleur et, de surcroît, pourrait encourager les employeurs à effectuer le moins possible d'études d'hygiène industrielle: Mineault et Hull Volkswagen, [2002] C.L.P. 646, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Hull, 550-17-000736-031, 03-06-02, j. Tannenbaum; Circuit Ford Lincoln ltée et Reda,291869-71-0606, 09-09-30, D. Gruffy.

Bien que le médecin n'emploie pas le terme précis d'intoxication, il note clairement à son rapport qu'il estime être en présence de malaises secondaires à une exposition à des vapeurs d'alcool et de solvants, et il fait comprendre qu'il conclut en fait à une intoxication à ces substances. Même si une exposition à des substances toxiques peut entraîner une maladie bien précise, comme une myélodysplasie ou une encéphalopathie, une telle exposition peut aussi seulement entraîner un ensemble de symptômes qui conduit le médecin traitant à ne poser que le diagnostic d’intoxication. En pareilles circonstances, suivant ce qu’a décidé la Cour supérieure dans l'affaire Tripp c. CLP, il s’agit d’un diagnostic de maladie qui permet l’application de la présomption: Cascades Groupe Tissu inc. et Petitclerc, [2004] C.L.P. 251.

Le tribunal ne peut conclure à l’absence de lésion uniquement parce que le médecin a choisi le terme d'«incommodation». Ce terme renvoie à celui d'incommoder qui signifie «causer une gêne physique». Le médecin y associe les odeurs, ce qui apparaît compatible avec une intoxication. Même s’il n’utilise pas le terme intoxication, il constate des malaises secondaires à une exposition à des substances toxiques. Il s'agit d’une intoxication légère, mais réelle. Les symptômes ne sont pas spécifiques à une intoxication, mais aucune autre pathologie ne permet de les expliquer. La première travailleuse décrit d’ailleurs des symptômes qui correspondent à une intoxication selon les fiches signalétiques de la colle et du toluène. Les deux travailleuses ont donc été victimes d’une intoxication. De plus, elles exercent un travail impliquant l'utilisation, la manipulation ou une autre forme d'exposition à des hydrocarbures: Angers et Coloride inc., [2007] C.L.P. 1108, révision rejetée, 299480-04-0609, 09-03-04, P. Simard.

Le diagnostic posé n'est pas très précis et fait plutôt référence à des symptômes. Toutefois, le travailleur n'a pas à être pénalisé ou privé des bénéfices de la loi parce que son médecin a privilégié un diagnostic qui s'apparente plutôt à des symptômes qu'à un diagnostic, d'autant plus qu'il reconnaît clairement la relation entre la condition médicale et l'événement survenu au travail. Même si le médecin n'utilise pas le terme précis d'«intoxication» et parce qu'il précise clairement dans son rapport médical qu'il estime être en présence de nausées et vomissements secondaires à la fumée dans l'autobus; il faut comprendre qu'il a conclu à une intoxication à ces substances. La présomption prévue à l'article 29 doit donc s'appliquer: Côté et Société de transport de Montréal, 2011 QCCLP 5791.

La présomption s'applique

Myélodysplasie. Maladie préleucémique. La preuve scientifique, médicale et épidémiologique permet de conclure que la myélodysplasie est une forme d'intoxication chronique au benzène, un hydrocarbure aromatique. Il s'agit d'une maladie préleucémique, se manifestant notamment par des changements morphologiques importants dans le sang et la moelle osseuse, et qui évolue souvent vers une leucémie aiguë. Or, l'exposition chronique au benzène entraîne un fort risque d'apparition d'une telle leucémie par altérations chromosomiques. Le travailleur n'a jamais bénéficié d'une évaluation personnalisée en hygiène industrielle permettant de déterminer son degré d'exposition à des contaminants chimiques. Les inférences établies à partir des témoignages entendus et de la preuve documentaire permettent de conclure qu'il a été exposé de manière constante au benzène dans son travail, tant par absorption cutanée que respiratoire, à des doses qui ne peuvent être mesurées rétrospectivement et qui demeurent imprécises, mais qui étaient certainement modérément élevées selon les normes légales et les connaissances actuelles. Cette exposition, qui s'est produite lors du nettoyage de pièces au département de lavage, lors du contact avec un carburant et possiblement lors de l'utilisation d'un fluide de calibration, a été suffisamment importante pour avoir entraîné la myélodysplasie. Le fait que la condition du travailleur se soit stabilisée à la suite de son retrait du travail constitue un élément supplémentaire permettant de croire que sa maladie est d'origine professionnelle. La présomption de maladie professionnelle prévue à l'article 29 s'applique et n'a pas été repoussée par l'employeur: Stacey et Allied Signal Aérospatiale inc., [1997] C.A.L.P. 1713.

Encéphalopathie toxique (syndrome cérébral organique). Le travailleur est débosseleur et carrossier. Le travailleur est affecté d'une encéphalopathie toxique aux solvants organiques. Ce diagnostic constitue une intoxication par les hydrocarbures aliphatiques, alicycliques et aromatiques au sens du paragraphe 12 section 1 de l'annexe I. Le travailleur a été exposé à ces substances par son travail. La présomption de maladie professionnelle doit recevoir application: Mineault et Hull Volkswagen,[2002] C.L.P. 646, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Hull, 550-17-000736-031, 03-06-02, j. Tannenbaum; Le travailleur est débosseleur depuis 30 ans. Maladie reconnue: Circuit Ford Lincoln ltée et Reda,291869-71-0606, 09-09-30, D. Gruffy.

Intoxication aux hydrocarbures aliphatiques et aromatiques. Manutentionnaire affectée au département de «dégaussing». Dès le début de son affectation à ce département, la travailleuse a ressenti des symptômes tels une fatique extrême, un nez qui coule, un mal de gorge, des yeux en pleurs et de la toux. Or, le travail à ce département implique la manipulation et l'utilisation de produits toxiques associés à des hydrocarbures aliphatiques et aromatiques. Les éléments constitutifs de la présomption sont donc réunis: Osunero et Technicolor Canada inc., 188159-72-0207, 03-02-17, M. Denis.

Intoxication aux hydrocarbures aliphatiques et aromatiques. Le travailleur a démontré qu'il a effectué un travail impliquant une exposition aux substances identifiées à la section 1 de l'annexe 1. Dans le cadre de son travail de technicien de véhicules récréatifs, il a été exposé aux vapeurs d’un antirouille principalement composé, selon la fiche signalétique de ce produit, d’un mélange de bitume, de solvant et d’hydrocarbure aliphatique. Il est manifeste que les niveaux d’exposition en cause étaient importants car il était chargé de pulvériser de l’antirouille durant une vingtaine d’heures par semaine dans une pièce qui ne comptait aucun système de ventilation et, dans les premiers mois qui ont suivi son embauche, il n’utilisait pas de masque adéquat pour exécuter ce travail. De plus, les conditions de travail étaient à ce point dangereuses qu'un inspecteur de la CSST a jugé nécessaire d’interdire à l’employeur de poursuivre les opérations d’application d’antirouille. Quant à la pathologie du travailleur, le médecin traitant a indiqué que le travailleur souffrait d’une intoxication aux produits qui composaient l’antirouille qu’il a utilisé et, de ce fait, il s'agit d'un diagnostic visé à l’annexe I de la loi: St-Germain et Roulottes Évasion 55 inc., 213862-05-0308, 04-06-10, F. Ranger, (04LP-57).

Le travailleur bénéficie de la présomption prévue à l’article 29 puisque le benzène, auquel il a été exposé pendant près de 20 ans dans son travail de chauffeur-livreur d'essence, appartient à la famille des hydrocarbures aromatiques et est identifié comme étant cancérigène et que le travailleur souffre d'une leucémie myéloïde chronique. Bien que le niveau d’exposition du travailleur au benzène n’ait jamais été mesuré, le nombre d’heures travaillées et le nombre d'années occupées au poste de chauffeur-livreur d'essence rendent incontestable son exposition à ce produit. Même si des études épidémiologiques démontrent que cette maladie n’est pas plus fréquente chez les camionneurs-livreurs d’essence que dans la population en général, cette conclusion ne permet pas de renverser la présomption dont bénéficie le travailleur puisqu’elle ne démontre pas que la leucémie myéloïde chronique dont il souffre n’est pas causée par l'exposition au benzène: Blanchet et Lévy Transport ltée, 174518-72-0112, 05-06-30, Y. Lemire, (05LP-97), révision rejetée, 06-07-13, A. Suicco.

La présomption de l’article 29 doit s’appliquer puisque les travailleuses ont démontré qu’elles ont été victimes d’une intoxication aux hydrocarbures et qu’elles sont exposées à ces substances dans leur travail. Elles exercent un travail impliquant l’utilisation, la manipulation ou une autre forme d’exposition à des hydrocarbures puisque la colle utilisée au travail est composée de toluène, un hydrocarbure aromatique, et d’hexane, un hydrocarbure aliphatique. Quant au fait que les normes d’exposition étaient respectées, les mesures ont été prises après l’évacuation de l’usine et ne sont pas représentatives des concentrations auxquelles les travailleuses ont pu être exposées. De toute façon, le seuil d’exposition n’a pas à dépasser un niveau particulier ou une norme précise: Angers et Coloride inc., [2007] C.L.P. 1108, révision rejetée, 299480-04-0609, 09-03-04, P. Simard.

Encéphalopathie toxique aux solvants. Préposée à la peinture. On peut conclure à une intoxication au sens de l'annexe I, car l'exposition à la substance toxique a été suffisante pour être la cause plausible de la maladie diagnostiquée. En effet, les symptômes de la travailleuse sont compatibles avec le diagnostic d'encéphalopathie toxique aux solvants. Par ailleurs, selon une étude neuropsychologique, elle présente des déficits cognitifs qui expliqueraient les difficultés qu'elle a éprouvées depuis son exposition à des solvants. Elle a donc une atteinte cognitive, découlant d'une intoxication secondaire à une exposition à des solvants. De plus, la travailleuse a exercé un travail impliquant une exposition à des substances ou produits toxiques. La travailleuse n'a pas à faire une démonstration scientifique de son exposition et, de plus, la loi et son annexe n'ont pas à être interprétées selon les normes édictées en vertu de la LSST et les règlements en découlant. Ce n'est donc pas parce qu'elle a été exposée à des doses inférieures à ce qui est prévu au Règlement sur la qualité du milieu du travail que la présomption prévue à l'article 29 ne peut s'appliquer. La présomption de maladie professionnelle n'a pas été renversée par l'employeur: Boiserie Alpin inc. et Normandin, 397314-71-0912, 10-09-23, P. Perron.

La présomption ne s'applique pas

Technicien de laboratoire effectuant des analyses sur des huiles usées provenant de locomotives. Diagnostic d'alvéolite inflammatoire à la suite d'une exposition aux vapeurs d'hydrocarbures. Le diagnostic émis ne correspond pas aux maladies pulmonaires indiquées dans l'annexe I. Les concentrations de toxicité à son poste de travail sont sous les normes permises. Maladie non reconnue: Bérubé et Chemins de fer nationaux, [1991] C.A.L.P. 798.

Briqueteur dont le travail consiste notamment à enduire des murs de béton d'époxy. Les diagnostics émis de virémie, d'hyperthermie et de bronchite ne démontrent pas une intoxication par les hydrocarbures. Aucun larmoiement, picotement du nez ou irritation de la gorge. Maladie non reconnue: Pietromonaco et S.T.C.U.M., 12096-60-8903, 91-04-19, S. Moreau, (J3-09-08).

Encéphalopathie toxique et syndrome d'hypersensibilité polychimique (multiple chemical sensitivity). Ces deux diagnostics sont deux entités distinctes quoiqu'en relation avec l'exposition aux mêmes produits toxiques, en l'occurrence les solvants et principalement le toluène. Aucun test objectif ne démontre une intoxication aux produits toxiques sous forme d'encéphalopathie. La persistance d'une symptomatologie subjective non spécifique, bien qu'elle soit compatible avec une intoxication, demeure une simple hypothèse. De plus, l'étude sur les concentrations des substances incriminées en milieu de travail, principalement le toluène, démontre qu'elles se répéteraient en dessous des normes reconnues. Les symptômes de la travailleuse ne sont pas associés à un diagnostic d'intoxication au sens de l'annexe I de la loi. Maladie non reconnue: Jacob et Natpro inc., 66551-04-9502, 98-07-14, M. Carignan, révision rejetée, 99-04-21, C. Lessard.

Syndrome cérébral organique. Exposition à la peinture d'aluminium et aux solvants dont le toluène. Le travailleur ayant été exposé au toluène de manière significative, il remplit la première condition prévue à l'article 29. Quant au syndrome cérébral organique, il peut résulter d'un problème vasculaire ou d'une exposition à des produits toxiques. En raison du caractère mixte ou de l'origine hybride de la pathologie et du fait que le diagnostic retenu n'est pas à proprement parler un diagnostic d'intoxication, le travailleur n'a pas rempli la deuxième condition prévue pour l'application de la présomption. La maladie est cependant reconnue comme étant reliée aux risques particuliers du travail en raison des explications du psychiatre du travailleur qui permettent de retenir une étiologie toxique probable en raison du genre de lésion retrouvée et de la façon dont elle s'est manifestée: Lacombe et Emballages Industries Vulcan ltée, 145267-72-0008, 01-12-21, F. Juteau.

Glioblastome multiforme (type particulier de cancer du cerveau). Pompier. La présomption de maladie professionnelle ne s’applique pas puisque, bien que le travailleur ait effectué un travail impliquant une exposition à des hydrocarbures aliphatiques, alicycliques et aromatiques, le fait de faire la preuve de l’exposition à l’une des substances mentionnées à l’annexe I de la loi n’équivaut pas à faire la preuve d’une intoxication. Or, aucune preuve ne démontre que le glioblastome multiforme dont le travailleur est décédé est spécifiquement associé sur le plan épidémiologique à une intoxication chronique à l’une ou l’autre des substances inscrites à l’annexe I: Succession Aldérick Morissette et Ville de Québec, [2009] C.L.P. 42, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Québec, 200-17-011312-097, 10-01-27, J. Allard (09LP-229), requête pour permission d'appeler rejetée, C.A. Québec, 200-09-006973-108, 10-06-01, j. Dutil.

Pour que la présomption s'applique, la travailleuse devait démontrer une intoxication par un hydrocarbure aliphatique, alicyclique ou aromatique et un travail impliquant une exposition à l'une de ces substances. Elle a été exposée au styrène et à l'acétone, deux solvants reconnus. D'une part, les conditions d'utilisation du masque par la travailleuse n'étaient pas optimales. Elle n'a pas été formée pour l'installer et reconnaître les problèmes inhérents, et il n'y avait pas de programme d'entretien chez l'employeur. De plus, les cartouches n'étaient pas remplacées selon les directives du manufacturier. Ces faits font présumer que le port du masque ne rendait pas l'exposition négligeable. D'autre part, la protection n'était que respiratoire, donc partielle, et la travailleuse était exposée au styrène et à l'acétone qui pouvaient l'atteindre notamment par contact cutané. Selon les fiches toxicologiques, ceux-ci sont des hydrocarbures. Toutefois, il n'a pas été établi qu'ils possèdent l'un des attributs exigés par l'annexe I, soit aliphatique, alicyclique ou aromatique. Le tribunal pose cependant l'hypothèse que ces solvants sont des hydrocarbures aromatiques tout en gardant à l'esprit que ce fait n'est pas démontré. Finalement, il y a lieu d'examiner les diagnostics à retenir pour déterminer s'il y a intoxication. Or, s'il est possible de conclure à une intoxication sans avoir les résultats des marqueurs biologiques, la démonstration aurait dû en être faite. Il n'est pas suffisant d'inférer l'existence d'une intoxication du seul fait de l'exposition. On doit constater des signes d'altération associés à la toxicité de la substance en cause. En l'espèce, la présomption énoncée à l'article 29 ne peut trouver application puisque les médecins de la travailleuse ont irrémédiablement associé ou confondu l'exposition et l'intoxication, en omettant de considérer sa situation dans son ensemble. Maladie non reconnue: D... R... et Compagnie A, 283693-63-0602, 10-05-28, M. Juteau.