Le défaut d'information peut invalider le rapport complémentaire
Le médecin qui a charge ne doit pas être empêché de modifier son opinion dans le cadre d'un rapport complémentaire, mais dans ce cas, il doit étayer son avis pour permettre de comprendre, du moins sommairement, les raisons qui l'amènent à changer son opinion. S'il change d'avis mais que son opinion est claire, la CSST est liée. Cependant, s'il n'étaye pas ses conclusions conformément à l'article 205.1 et que l'opinion du médecin désigné infirme celle du médecin traitant, la CSST doit soumettre le litige au BEM pour ne plus être liée par l'avis du médecin traitant. Par ailleurs, l'obligation du médecin ayant charge d'informer le travailleur du contenu de son rapport n'est pas une simple formalité mais bien une exigence de fond compte tenu des conséquences qu'a son opinion. Cette étape est le seul moment où le travailleur a l'occasion de faire valoir son point de vue et d'exercer le droit qui lui est dévolu à l'article 192 d'avoir recours au médecin de son choix. En l'espèce, l'opinion apparaissant au rapport complémentaire du médecin traitant n'est pas étayée. On y retrouve seulement le mot «d'accord». Cette réponse ne permet pas de comprendre, même sommairement, les raisons qui ont incité le médecin à changer d'avis. De plus, il appert que la travailleuse n'a jamais été informée autrement que par l'agent d'indemnisation que son médecin avait modifié ses conclusions sur les questions de l'atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, de sorte qu'elle n'a pu faire valoir le droit qui lui est dévolu à l'article 192. C'est donc erronément que la CSST a conclu sur réception de l'avis complémentaire irrégulier que la travailleuse ne conservait pas de séquelles et qu'elle était redevenue capable d'exercer son emploi: Clermont et Broderie Rive-Sud, 254081-62B-0501, 05-12-15, Alain Vaillancourt
La procédure suivie par la CSST est irrégulière puisque le rapport complémentaire ne respecte pas les prescriptions de l'article 205.1. Le changement d'opinion du médecin qui a charge doit être clair, limpide et connu du travailleur avant que le tribunal n'ait à statuer. Cet article exige que le médecin qui a charge informe le travailleur, sans délai, du contenu de son rapport; l'expression «sans délai» réfère à l'époque du rapport:
Hammami et Fabricants de Plastique fédéral ltée, [2010] C.L.P. 323.
Lorsque le médecin qui a charge exprime son accord avec l'opinion du médecin désigné par la CSST, cette opinion devient celle du médecin qui a charge et lie la CSST ainsi que la CLP. Toutefois, cette opinion doit être basée sur un examen récent du travailleur et être étayée. Le dernier rapport médical du médecin qui a charge ne consolidait pas la lésion, mais recommandait plutôt la poursuite des traitements. Trois mois plus tard, sans avoir réévalué le travailleur, le médecin s'est dit d'accord avec les conclusions du médecin désigné. Il n'explique ni n'étaye ses conclusions. De plus, contrairement à ce qui est prévu à l'article 205.1, il n'a jamais informé le travailleur du contenu de son rapport. Le tribunal n'est donc pas lié par son rapport complémentaire: Meubles Lorenz et D'Angelo, 2011 QCCLP 1491.
Le rapport complémentaire du médecin qui a charge ne lie pas le tribunal, puisqu’en entérinant les conclusions du médecin désigné quant à l'atteinte permanente que conserve le travailleur, sans avoir examiné le travailleur à cette fin ni avoir discuté avec lui et sans étayer son opinion, ce médecin n’a pas exercé de manière responsable son jugement professionnel:
Guitard et Peinture G.& R. Lachance inc., 2011 QCCLP 2731.
Le défaut d'information n'invalide pas le rapport complémentaire
Le fait que la travailleuse n’ait pas, sans délai, été informée du contenu du rapport complémentaire de son médecin se déclarant d'accord avec les conclusions du médecin de l'employeur, ne peut, à lui seul, invalider le rapport complémentaire. En effet, la travailleuse en est avisée assez rapidement par la CSST et elle a alors la possibilité de communiquer avec son médecin pour en discuter, ce qu'elle n'a pas fait. Par ailleurs, le fait de ne pas informer la travailleuse du contenu du rapport complémentaire n'interfère pas avec le droit de celle-ci de choisir son médecin traitant selon l’article 192. En effet, cet article précise que la travailleuse a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix. Cet article permet à une travailleuse insatisfaite du suivi médical dont elle fait l’objet de changer de médecin en cours de traitements. Toutefois, il ne lui permet pas de contester les rapports de son médecin traitant et encore moins de décider que son médecin traitant perd cette qualité parce qu’elle est en désaccord avec ses conclusions. En conséquence, le fait d’être ou non avisée des conclusions finales du médecin qui a charge n’a aucune incidence sur le choix du médecin traitant et, dans cette optique, permettre, en fin de parcours, à une travailleuse de changer de médecin qui a charge en raison d’une divergence de vue sur les conséquences de sa lésion professionnelle constituerait «un mode de contestation non prévu par la loi qui, s’il était accepté, conduirait à une surenchère inacceptable». Le simple fait d’avoir légèrement tardé avant d’informer la travailleuse du contenu du rapport complémentaire de son médecin ne peut avoir pour conséquence d’écarter ce rapport ou de faire perdre à ce médecin sa qualité de médecin traitant. En conséquence, le rapport complémentaire est conforme à la loi et, dès lors, il lie la CLP selon l’article 224: Tremblay et Providence Notre-Dame de Lourdes, 247398-71-0411, 06-02-24, C. Racine, révision rejetée, [2007] C.L.P. 508, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-17-038220-078, 08-10-07, j. Marcelin.
L'omission d'informer le travailleur de la transmission du rapport complémentaire à la CSST n'est pas suffisante pour rendre ce rapport caduc ou permettre au travailleur de le contester si le médecin qui a charge avait partagé antérieurement ses conclusions médicales avec le travailleur. En l'espèce, le médecin en charge de la travailleuse croyait que celle-ci pouvait effectuer un travail en position assise alors que la travailleuse prétendait en être incapable. La travailleuse savait ce que son médecin pensait. Elle avait écrit une lettre à son médecin pour lui exprimer son désaccord. Elle exigeait une investigation plus poussée, laquelle avait été faite mais n'avait rien révélé de plus. La travailleuse n'a pas revu son médecin après son évaluation mais elle connaissait son opinion. Par ailleurs, le médecin en charge de la travailleuse avait repoussé à quelques reprises la date du retour au travail, la travailleuse se disant incapable de faire même des travaux légers. Finalement, dans son dernier rapport, le médecin de la travailleuse indique qu'un plateau est atteint et demande une expertise. Dans les circonstances, on peut difficilement conclure que la travailleuse a été prise par surprise lorsqu'elle a appris le contenu du rapport complémentaire et elle ne peut non plus prétendre que le rapport n'est pas suffisamment étayé, clair et limpide pour avoir un caractère liant. Par conséquent, la CSST est liée par le rapport complémentaire du médecin en charge de la travailleuse: Debenedictis et G. Monas & cie, 263565-61-0505, 06-03-31, S. Di Pasquale, révision rejetée, 06-10-04, M. Denis.
Le médecin qui a charge s'est dit d'accord avec l'opinion du médecin désigné par la CSST et il a conclu, dans son rapport final et dans son rapport complémentaire, que la lésion du travailleur était consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. La CLP est donc liée par ces conclusions et le travailleur ne peut les contester puisqu'il a continué de le consulter par la suite. Bien qu'il ait été démontré que ce médecin n'a pas informé le travailleur du fait qu'il était en accord avec les conclusions du médecin désigné, le travailleur a revu ce médecin à plusieurs reprises par la suite et, lors de ces visites, ils ont eu des discussions relativement à l'opinion exprimée par le médecin désigné et entérinée par le médecin qui a charge. Cette légère entorse à la procédure, soit l'obligation faite au médecin qui a charge d'informer sans délai un travailleur du contenu de son rapport, n'est pas fatale en l'espèce. La CSST était donc bien fondée de ne pas soumettre le dossier au BEM puisqu'il n'y avait pas de divergence d'opinions entre le médecin désigné et le médecin qui a charge: Duchesne et Michel St-Pierre Couvreur inc., 198132-63-0301, 08-07-28, M. Gauthier.
Le travaillleur avait eu l'occasion de discuter avec son médecin à quelques reprises. Près d'un an auparavant, il était question de consolider la lésion professionnelle. La référence à un organisme de réadaptation était le dernier recours avant de penser à un retour au travail dans un emploi qui respecterait ses capacités résiduelles. Devant l'échec du processus de réadaptation physique, le médecin qui a charge avait sensibilisé le travailleur à une réorientation vocationnelle. Le travailleur ne peut s'étonner du contenu du rapport et déclarer qu'il n'en a pas été informé: Élement et C.M.S. Entrepreneurs Généraux inc.,360528-01C-0810, 09-10-13, D. Beauregard.
Le fait que le médecin qui a charge n'ait pas personnellement informé la travailleuse du contenu du rapport final et de son rapport complémentaire ne pouvait avoir d'incidence sur la poursuite du dossier et ne constitue donc pas un accroc invalidant le processus d'évaluation médicale: Hamilton et Toyota Pie IX inc., 312268-63-0703, 10-03-04, P. Perron, révision rejetée, 2011 QCCLP 1532.
L'omission du médecin qui a charge d'informer le travailleur du contenu de son rapport complémentaire n'invalide pas celui-ci. Cette obligation d'information constitue un rouage dans la transmission de l'information au travailleur afin qu'il sache si le processus d'indemnisation doit être poursuivi ou interrompu. Aucune sanction n'y est rattachée et le travailleur demeure lié par les conclusions de son médecin traitant, qu'il ne peut contester. Ainsi, le rapport complémentaire est régulier et liait la CSST en ce qui a trait à l'absence d'atteinte permanente et de limitations fonctionnelles: Bouchard et Martin Chevrolet Oldsmobile inc., 387069-31-0908, 10-10-27, Monique Lamarre.
.