LoiLATMP
TitreXII LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES: ART. 359, 359.1, 367 À 429.59, 450 ET 451
Section1. La compétence de la CLP: art. 369
1.1 Origine et étendue de la compétence
1.1.4 Questions indissociables
Titre du document1.1.4.1 Hors délai et admissibilité ou fond du litige
Mise à jour2011-11-01


NB : Voir également dans ce titre les sections suivantes:
1.1 Origine et étendue de la compétence
1.1.1 La compétence découle de l'existence d'une décision
1.1.2 La compétence découle de l'objet de la décision
1.1.3 La compétence est limitée par l'objet de la contestation
1.1.4 Questions indissociables
1.1.4.1 Hors délai et admissibilité ou fond du litige
1.1.4.2 L'admissibilité et les questions médicales
1.1.4.3 Le diagnostic et les questions médicales

Question indissociable

La CSST refuse la réclamation du travailleur pour une rechute qui serait survenue le 12 juillet 1989 au motif que la réclamation n'a pas été faite dans les délais prévus par la loi. Saisi du dossier, le bureau de révision décide que le travailleur n'avait pas à produire une réclamation et qu'il n'a pas subi de lésion professionnelle le 12 juillet 1989. Le travailleur en appelle de cette décision devant la CALP et lui demande de reconnaître qu'il n'avait pas à produire de réclamation et qu'il a subi une rechute le 12 juillet 1989 et une autre le 18 janvier 1991. Il prétend de plus que comme ni l'employeur ni la CSST n'ont interjeté appel à l'encontre de la décision du bureau de révision, la question de la tardiveté de la réclamation ne peut être débattue devant la CALP qui ne peut se prononcer que sur le fond. La CALP doit rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu. La lecture des articles 408, 412 à 416 et 423 ne laisse aucun doute. Il s'agit d'un nouveau procès, où la CALP procède à une nouvelle évaluation des témoignages et de l'ensemble de la preuve. Une simple inscription en appel suffit pour enclencher le processus, sans qu'il soit besoin de défense, de demande reconventionnelle ou d'autres étapes de la procédure que l'on peut retrouver devant les tribunaux civils. Si l'on peut débattre devant la CALP d'une question qui n'a pas été soulevée devant le bureau de révision, à plus forte raison en est-il de celle qui a fait l'objet même de la décision du bureau de révision portée en appel, comme c'est le cas en l'espèce. En effet, le bureau de révision a, de façon préliminaire, statué sur le droit même du travailleur de faire valoir sa réclamation. Les deux questions, soit le droit du travailleur de réclamer et l'existence ou non de la rechute, récidive ou aggravation alléguée, sont indissociables. La CALP peut donc se prononcer sur une question préalable qui a été soulevée devant le bureau de révision même si celle-ci n'a pas fait l'objet d'un appel de la part de l'employeur. La CALP précise qu'elle en arriverait probablement à une conclusion différente si les deux questions n'étaient pas indissociables. Par exemple, si dans une même décision, un bureau de révision acceptait une réclamation pour un accident du travail et refusait une réclamation pour une rechute, récidive ou aggravation de cet accident, l'employeur ne pourrait à l'occasion d'un appel fait par le travailleur sur le refus de la rechute, rouvrir le débat sur l'acceptation de l'accident initial s'il n'en a pas lui-même appelé de la décision. Il s'agirait de deux questions différentes ne faisant l'objet d'une même décision que pour des raisons de commodité: Blanchette et Durivage-Multi-Marques inc., 41769-63-9207, 95-06-20, L. Thibault; Lampron et Commission scolaire Jérôme Le Royer, 63822-64-9411, 96-05-29, J.-G. Béliveau, révision rejetée, 97-03-17, J.-M. Duranceau; Vandal et Maison d'hébergement L'Aquarelle, 78187-02-9603, 96-11-06, C. Bérubé; révision rejetée, 97-08-08, J.-G. Roy; Pelletier et Fruit sections inc., 151638-61-0012, 01-07-23, G. Morin, (01LP-88); Diles et Vêtements Golden Brand (Canada) ltée, 182899-62-0204, 03-04-16, É. Harvey.

L'employeur n'avait pas intérêt pour interjeter appel de la partie de la décision portant sur le délai de réclamation puisqu'il avait eu gain de cause sur le fond du litige. D'ailleurs, la question de la tardiveté d'une réclamation en est une de droit préalable qui donne compétence à la CLP. L'employeur n'était donc pas forclos de saisir la CLP de la question. La CLP fait siennes les conclusions de la CALP dans l'affaire Blanchette et Durivage Multi-Marques inc. qui mentionne notamment qu'elle ne pourrait pas s'acquitter de son fardeau de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu s'il fallait conclure autrement: Di Francesco et Pratt & Whitney Canada inc., [1998] C.L.P. 994; Perras et Pavillon Hôpital Montréal pour enfants, 228350-71-0402, 07-08-29, D. Gruffy.

La question du délai est une question indissociable du fond parce qu'il s'agit d'un moyen de droit pour faire rejeter la contestation de la partie qui conteste la décision antérieure. Une partie, qui a un intérêt dans un litige, a le droit de faire valoir tous ses moyens pour s'opposer à la contestation. La CLP voit mal comment elle pourrait priver une partie d'un moyen de droit pour le motif qu'elle n'a pas elle-même contesté une décision qu'elle n'avait pas intérêt à contester, puisque cette décision rejetait la contestation au fond. Priver la partie intéressée d'un moyen de droit pour faire rejeter une contestation constitue un accroc important à la règle audi alteram partem. Ainsi, non seulement la CLP peut se prononcer sur la question préliminaire soulevée par l'employeur, mais elle doit le faire sans quoi elle le priverait de faire valoir tous ses moyens: Blanchette et Ville de Montréal, 184347-63-0205, 03-07-21, R. Brassard; Petropoulos et Boehringer Ingelheim Canada ltée, 282407-61-0602, 06-07-12, B. Lemay.

Le travailleur prétend que la CLP ne peut se saisir de la question dans la mesure où elle n'est pas en litige, l'employeur ayant négligé de contester la recevabilité de la demande de révision à la CLP. Or, selon les motifs du jugement de la Cour supérieure dans l'affaire Whitehead c. CALP, puisque le délai de production d'une demande de révision est de rigueur, que la CLP doit rendre la décision qui aurait dû être rendue et que sa décision doit être conforme à la loi, le fait que l'employeur n'ait pas contesté la décision rendue par l'instance de révision n'empêche pas le tribunal de statuer sur la question. La CLP considère qu'il est contraire à l'esprit du droit administratif et de la loi d'obliger une partie à multiplier les procédures afin de parer uniquement à l'éventualité que l'autre partie produise une requête visant à faire reconnaître son droit. En effet, dans la mesure où la réclamation du travailleur est rejetée, les motifs importent peu, l'employeur n'est pas lésé par la décision rendue à cet effet et n'a pas d'intérêt à la contester. De plus, la recevabilité d'un recours à quelque étape que ce soit est une question qui se situe dans le prolongement du processus décisionnel, les instances décisionnelles n'ayant pas le pouvoir de statuer sur le fond d'une question si la contestation est irrecevable. Cependant, il ne s'agit pas de permettre à une partie de profiter du débat engagé par l'autre partie pour remettre en cause des décisions non contestées ni de lui permettre de s'en emparer comme si c'était son recours. Il ne s'agit pas non plus d'accroître de façon illégitime les pouvoirs que doit exercer la CLP: Savard et Carnaval de Québec, 227215-31-0402, 04-05-07, G. Tardif, (04LP-3).

La CLP, en vertu de l’article 377, a compétence pour se prononcer sur la question de la prolongation du délai de réclamation, même en l’absence de décision expresse de la CSST à cet égard puisque, lorsque la CSST statue sur le fond de la réclamation d’un travailleur, elle se trouve à décider implicitement que la réclamation a été déposée dans le délai ou à prolonger implicitement le délai de réclamation. De plus, ce n’est pas parce que la CSST a implicitement prolongé le délai de réclamation que la CLP n’a pas la compétence pour examiner les motifs du non-respect, même si cette question ne fait pas l’objet de la requête du travailleur. Le délai de réclamation et l’existence d’une lésion professionnelle sont des questions intimement reliées et indissociables au sens de la jurisprudence de sorte qu’une requête visant l’un des sujets permet au tribunal de décider de l’autre au même titre: Leclerc et Maisons Logitech, 241535-01A-0408, 05-05-19, J.-F. Clément, (05LP-43).

La travailleuse souligne que l’employeur, n’ayant pas contesté la décision de l’instance de révision, ne peut soulever devant la CLP la question du dépassement du délai prévu pour contester la décision initiale de la CSST selon l’article 358. L’employeur n’avait pas d’intérêt à contester la décision rendue par l’instance de révision puisque le sort de celle-ci lui est favorable. Le débat sur le délai peut cependant être soulevé par l’employeur devant la CLP puisque le tribunal revoit la décision de novo et doit rendre la décision qui aurait normalement dû être rendue en premier lieu, conformément à l’article 377: Côté et Robert et Robert (1978) ltée, 269987-05-0508, 06-01-27, M.-C. Gagnon, (05LP-234).

Une contestation sur l'admissibilité d'une réclamation entraîne la possibilité d'étudier à nouveau chacune des conditions essentielles. Toutes ces questions sont indissociables de la recevabilité de la réclamation. À cet égard, le présent tribunal fait siens les propos tenus dans Blanchette et Durivage Multi-Marques inc.La CLP et la Cour supérieure ont également qualifié d'indissociable du fond du litige, la question du délai pour la soumission d'une réclamation à la CSST. En conséquence, le respect du délai des articles 270 ou 272, dans le cadre du dépôt d'une réclamation, est une question préalable qui est incluse au fond du litige et qui, par conséquent, en est indissociable. Cette thèse ne s'écarte pas de la notion de recours formé selon l'article 369 puisqu'il existe une décision qui porte sur l'admissibilité et qui comporte certaines conditions essentielles sous-jacentes. Cette décision fait l'objet d'une contestation par une partie qui s'en estime lésée, en l'occurrence le travailleur. Un recours étant formé, la partie qui n'a pas manifesté son désaccord sur la question de l'admissibilité n'a pas besoin d'avoir contesté cette condition d'application d'une lésion professionnelle. Ainsi, une partie peut soulever l'irrecevabilité d'un recours prescrit, en l'occurrence la réclamation pour maladie professionnelle, même si elle n'a pas logé de recours à l'encontre de la recevabilité de la réclamation en application avec les articles 359 et 369: Powley et Commission scolaire New Frontiers, 338549-62C-0801, 08-10-30, C. Burdett; Richard et Société canadienne des Postes 2011 QCCLP 5381, révision rejetée, 2012 QCCLP 1477.

En présence d'une décision favorable à une partie sur le fond du litige, et ce, même si elle n'a pas gain de cause sur un moyen préalable, la CLP considère qu'elle aura raison de ne pas se croire lésée par ladite décision et, par conséquent, de ne pas la contester. Dans un tel contexte, elle ne se croira lésée qu'au jour où une décision finale de la CLP sera rendue et infirmera la décision antérieure. De là l'importance de permettre à une partie ayant un intérêt dans un litige de faire valoir en temps opportun tous ses moyens pour s'opposer à une contestation. Le présent tribunal adhère au courant jurisprudentiel voulant que le délai de réclamation soit indissociable du fond du litige puisqu'il croit contraire à l'esprit du droit administratif d'obliger une partie à multiplier des recours strictement préventifs, alors que le législateur ne l'a pas prévu ainsi. Comme il a déjà été décidé, une contestation de l'admissibilité d'une réclamation entraîne la possibilité de réétudier tous et chacun des éléments moindres et inclus dans la notion d'admissibilité: Eng et Quincaillerie Richelieu inc., 340868-61-0802, 08-12-10, I. Piché.

Le tribunal souscrit au courant de jurisprudence voulant qu'une question de délai, tant celle qui concerne une demande de révision que celle concernant le délai de réclamation, soit indissociable du fond du litige. En vertu de l'article 377, le tribunal doit rendre la décision qui aurait dû être rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative. Il ressort de cette disposition, tout comme de l’esprit de la loi, qu’il n’y a pas lieu d’exiger d’une partie qu’elle ait soumis un recours distinct pour permettre au tribunal de se saisir d’une question de délai. Le tribunal est d’autant plus justifié d’examiner cette question lorsque celle-ci a été traitée dans la décision contestée comme dans le présent dossier: Riopel et 30879449 Québec inc., 2011 QCCLP 1436.

Question dissociable

La décision de l'instance de révision a tranché deux litiges. Elle a déclaré recevable le demande de révision de la travailleuse et a maintenu la décision de la CSST sur les questions médicales. Le 4 août 1998, la travailleuse a contesté cette décision auprès de la CLP qui a considéré que la travailleuse ne pouvait contester que le litige relatif aux questions médicales puisque c'est en regard de celui-ci qu'elle peut prétendre être lésée. De fait, le droit à la contestation prévu à l'article 359 n'est pas un droit universel. Il est prévu que seule une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la CLP. En l'instance, la travailleuse est la seule personne qui a contesté et elle ne peut prétendre être lésée par la décision de l'instance de révision quant au délai puisqu'elle lui est favorable: Paquette et Urgel Bourgie ltée, 104475-71-9808, 02-01-24, D. Beauregard (décision sur requête en révision); Côté et W. Côté & fils ltée, 180994-62C-0203, 04-02-23, R. Hudon, révision rejetée, 05-04-08, C.-A. Ducharme.

La question du délai est toujours étudiée en premier lieu, avant le fond, préliminairement. Même si la question du hors délai est étroitement liée à la question principale, elle n'en est pas l'accessoire ni indissociable parce qu'elle n'en dépend pas, elle n'y est pas secondaire, ni subsidiaire, car elle-même peut régler le sort de la demande et entraîner son rejet, sans que le fond ne soit étudié. Et prétendre l'inverse, c'est-à-dire que le fond dépend de la question préliminaire est aussi inexact pour les mêmes raisons: Martineau et Académie Lafontaine, 176166-64-0201, 02-10-10, Y. Lemire.

L’admissibilité d’une réclamation pour lésion professionnelle, d’une part, et le défaut d’avoir exercé un recours à l’encontre d’une décision rendue dans le délai prescrit par la loi, d’autre part, ne sont pas des questions indissociables. En effet, ce sont deux questions que l’on peut considérer isolément l’une de l'autre, c'est-à-dire apprécier, étudier, examiner séparément, distinctement, chacune par et pour soi, et indépendamment de l’autre. L’instance de révision ayant tranché deux litiges distincts et séparés l’un de l'autre et aucun recours n’ayant été formé à l’encontre de la décision relevant l’employeur de son défaut, cette décision est devenue finale et irrévocable et la CLP n’a donc pas compétence pour se prononcer à nouveau sur cette question. Bien qu’on puisse douter de l’intérêt du travailleur à contester une décision qui lui donnait gain de cause au fond, à partir du moment où, par sa requête, l’employeur remettait en cause le bien-fondé même de la réclamation, le travailleur était fondé de se croire lésé par la décision de la CSST relevant l’employeur de son défaut et il aurait dû à ce moment déposer sa propre contestation à la CLP. La tentative de soumettre indirectement cette même question à l’appréciation du tribunal par la voie d’un moyen préalable soulevé à l’audience ne comble pas les carences fondamentales qu’entraîne le défaut d’exercer le recours approprié. La CLP est donc sans compétence pour statuer sur la recevabilité de la demande de révision de l’employeur: Les Ameublements Québéko inc. et Contant, 173817-64-0111, 04-03-10, J.-F. Martel, (03LP-304).

La CLP privilégie l’interprétation voulant que le hors délai et le fond du dossier soient des questions indépendantes et dissociables. Dans ce cas, un recours doit être formé à l’encontre des deux sujets. L'employeur n’ayant pas contesté la décision concernant le hors délai, la CLP n’a donc pas compétence pour se prononcer sur cette question. Au départ, l'employeur n'avait pas d'intérêt à contester une décision lui donnant gain de cause, son intérêt à contester la décision concernant le hors délai est né dès que la travailleuse a déposé une requête à la CLP signifiant son désaccord avec la décision sur le fond, puisqu’il devenait dès lors possible que sa réclamation soit accueillie: Barbeau et Inventex Distributions inc., 251880-61-0412, 05-03-31, S. Di Pasquale, (04LP-267), révision rejetée, 05-07-06, F. Mercure; Maciocia et Centre de réadaptation Ouest Mtl, [2005] C.L.P. 85; Sandoval Sanchez et Grands Balais Entretien ménager inc., 265072-71-0506, 06-12-13, M.-H. Côté, (06LP-221).

Malgré le fait que la CLP jouisse de vastes pouvoirs et tienne une audience de novo, c’est la contestation de la partie insatisfaite de la décision rendue par l'instance de révision qui circonscrit le litige sur lequel elle est appelée à se prononcer. Par ailleurs, ces principes s’appliquent en regard de la recevabilité d’une demande de révision puisque cette question n’est pas indissociable de celle portant sur l’admissibilité de la réclamation. Le travailleur ne peut se servir du recours exercé par l’employeur pour demander au tribunal de déclarer que l’instance de révision de la CSST avait tort de considérer que la demande de révision de l’employeur a été déposée dans le délai prévu par la loi, alors qu’il n’a pas lui-même exercé de recours à l’encontre de cette décision. À compter du moment où l’employeur remet en question l’admissibilité de sa réclamation, le travailleur a intérêt à contester la conclusion selon laquelle la demande de révision de l'employeur est recevable. La CLP n’a pas compétence pour se prononcer sur cette question: Commission scolaire Marguerite Bourgeoys et Langlois, [2007] C.L.P. 1236; Commission scolaire Marguerite Bourgeoys et Brunet, 267601-71-0507, 08-04-03, S. Arcand.