LoiLATMP
TitreXII LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES: ART. 359, 359.1, 367 À 429.59, 450 ET 451
Section7. La révision pour cause: art. 406
7.1 Causes de révision
7.1.8 Conflit jurisprudentiel
Titre du document7.1.8 Conflit jurisprudentiel
Mise à jour98-04-01


Le conflit jurisprudentiel ne crée pas un motif autonome de contrôle judiciaire. Dans le cas de décisions intrajuridictionnelles qui ne sont pas manifestement déraisonnables, ce sont les principes sous-jacents à la retenue judiciaire qui doivent primer. La cohérence dans l'application de la loi constitue un objectif valable, mais il n'a pas un caractère absolu. Cet objectif doit se poursuivre dans le respect de l'autonomie et de l'indépendance décisionnelle des membres des organismes administratifs. Enquêter sur un cas d'incohérence décisionnelle et le résoudre en l'absence d'une erreur manifestement déraisonnable, c'est modifier le rapport institutionnel entre les tribunaux administratifs et les cours de justice. Une telle intervention de la part d'une cour de justice risque de réduire à néant l'autonomie décisionnelle, l'expertise et l'efficacité du tribunal administratif et risque, par la même occasion, de contrecarrer l'intention première du législateur, qui a déjà déterminé que le tribunal administratif est celui qui est le mieux placé pour se prononcer sur la décision contestée. Les tribunaux administratifs ont la compétence de se tromper dans le cadre de leur expertise, et l'absence d'unanimité est le prix à payer pour la liberté et l'indépendance décisionnelle accordées aux membres de ces tribunaux. Reconnaître l'existence d'un conflit jurisprudentiel comme motif autonome de contrôle judiciaire constituerait une grave entorse à ces principes compte tenu du fait que les tribunaux administratifs et le législateur ont le pouvoir de régler eux-mêmes ces conflits: Lapointe c. Domtar inc., [1993] 2 R.C.S. 756, [1993] C.A.L.P. 613 (C.S.C.); Marin c. Société canadienne de métaux Reynolds, [1996] C.A.L.P. 1339 (C.A.) requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 97-02-13 (25573); Bisson c. C.A.L.P., [1996] C.A.L.P. 541 (C.S.).

L'interprétation retenue ne constitue pas une erreur grave ou manifeste en droit parce qu'elle n'est pas conforme à la position majoritaire adoptée par la CALP. L'existence d'un conflit jurisprudentiel ne donne pas en soi ouverture à une requête en révision: C.S.S.T. et Cegelec Entreprises, [1993] C.A.L.P. 1608; Société des alcools du Québec et Brousseau, [1993] C.A.L.P. 1278; Settecasi et Fibrobec inc., 21922-62-9009, 93-03-23, B. Roy; Gauthier et Produits forestiers Canadien Pacifique, 30053-04-9106, 95-06-26, M. Carignan; Boily et Argo Construction inc., 59164-63-9405, 96-10-17, Y. Tardif, (J8-09-04); Hôpital Reddy Memorial et Rovine-Small, 59957-60-9406, 96-10-22, S. Di Pasquale, (J8-09-29).

Il n'y a pas d'erreur manifeste ou flagrante et la CALP était justifiée de refuser de réviser sa décision, lorsqu'il y a plusieurs résultats possibles et que la CALP a choisi l'un d'eux: Létourneau c. C.A.L.P., [1992] C.A.L.P. 399 (C.S.); Martel et Auger & Frères ltée, 11019-07-8901, 93-02-01, B. Roy, (J5-06-13); Cast Terminal inc. et C.S.S.T., [1994] C.A.L.P. 1041.

Le fait qu'une décision ne suive pas un courant de jurisprudence ne constitue pas une erreur manifeste. Tenter par le biais d'une révision pour cause de contrôler l'incohérence peut dénaturer l'essence même du recours et empêcher l'élaboration d'un courant jurisprudentiel: Côté et Produits forestiers Tembec inc., [1993] C.A.L.P. 1600; Nouvelle Compagnie Théâtrale inc. et C.S.S.T., 13075-60-8905, 94-05-18, S. Moreau; C.S.S.T. et Thibault, 29221-62-9105, 94-08-23, M. Kolodny, (J6-19-10).

Il peut paraître étonnant, voire inéquitable, que deux décisions rendues par des organismes administratifs distincts (CSST et SAAQ) comportent des contradictions flagrantes. Cependant, ce conflit jurisprudentiel n'est pas un motif pour justifier l'intervention judiciaire des tribunaux supérieurs, car trancher ce conflit réduirait à néant l'autonomie décisionnelle et l'expertise propre du tribunal administratif qui est le mieux placé pour se prononcer sur la décision contestée. Il n'y a donc pas lieu d'intervenir dans cette décision: Tremblay c. C.A.L.P., [1994] C.A.L.P. 1314 (C.S.).

Une différence dans l'interprétation d'une décision par rapport à une autre n'est pas une cause pouvant donner ouverture à une révision, à moins que la décision attaquée ne comporte une erreur manifeste. En l'espèce, l'iniquité soulevée par le travailleur met en cause le principe de la cohérence des décisions. En effet, bien que l'indépendance des tribunaux exige que chaque décideur apprécie les situations indépendamment de toute intervention extérieure, les parties s'attendent à ce que les décideurs suivent la jurisprudence établie. Or, la décision attaquée respecte le courant jurisprudentiel de la CALP puisqu'il s'en dégage que la dimension fonctionnelle c'est-à-dire la connexité entre l'activité et la lésion ne peut être évacuée. Il s'agit d'un élément important à prendre en considération pour déterminer si la lésion est survenue «à l'occasion du travail» et ce, dans le contexte de chaque cas particulier. Par conséquent, la décision contestée ne contient aucune erreur manifeste pouvant entraîner sa révision: Martel et Institut Philippe Pinel de Montréal, 50167-63-9302, 94-11-24, L. McCutcheon, (J7-01-04).

On ne saurait conclure à une erreur manifeste de faits ou de droit du seul fait d'une décision contraire à d'autres décisions rendues par les membres d'un même tribunal et ce, dans des cas présentant des particularités diverses, soumis à l'appréciation de commissaires différents. C'est le principe même de l'autonomie du décideur qui serait alors remis en cause: C.S.S.T. et Labbé, 45096-03-9211, 95-05-26, C. Bérubé.

Le recours en révision pour cause n'a pas pour but de rendre une décision conforme à un courant jurisprudentiel majoritaire malgré les inconvénients indéniables qu'une telle situation peut susciter. Il en va de l'indépendance même du commissaire et comme l'a constaté la Cour suprême dans l'arrêt Lapointe c. Domtar, [1993] 2 R.C.S. 756, [1993] C.A.L.P. 613, cette règle doit primer celles relatives à la stabilité et à l'uniformité des décisions. Si le législateur avait jugé opportun de cristalliser la jurisprudence, il aurait probablement recommandé au tribunal de constituer un collège d'adjudication pour trancher une question controversée: Carrier et S.E.C.A.L., [1995] C.A.L.P. 1242; Groupe Santé Médisys inc. et Perreault-Bouchard, 43878-60-9207, 95-11-16, N. Lacroix, (J7-11-39); Fortier et Noranac, 05208-62-8711, 95-11-09, G. Robichaud, (J7-10-12), révision rejetée, 96-06-26, R. Brassard; Levert et Centre hospitalier Laurentien, 71966-64-9508, 97-01-20, S. Moreau, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-029304-977, 97-06-11, j. Tannenbaum, appel accueilli sur un autre point, [2000] C.L.P. 719 (C.A.).

Il est nécessaire de favoriser la plus grande cohérence décisionnelle possible au sein des tribunaux administratifs, et ce, dans le meilleur intérêt des justiciables. L'outil approprié pour assurer une telle cohérence n'est toutefois pas la révision par un membre du tribunal. D'une part, l'issue de l'appel continuera de dépendre de l'identité du décideur et de la partie qui exerce le recours. D'autre part, le commissaire qui serait forcé de rendre une décision selon un courant jurisprudentiel auquel il ne souscrit pas nécessairement reconcerait à son indépendance décisionnelle, laquelle constitue l'undes fondements de l'exercice du pouvoir judiciaire ou quasi judiciaire: Imperial Tobacco ltée et Deschamps, [1996] C.A.L.P. 1702.