LoiLATMP
TitreXII LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES: ART. 359, 359.1, 367 À 429.59, 450 ET 451
Section4. La preuve
4.3 La recevabilité de la preuve
4.3.2 Les limites
4.3.2.1 Le respect des règles de justice naturelle
Titre du document4.3.2.1 Le respect des règles de justice naturelle
Mise à jour2011-11-01


Généralités

L’employeur invoque un manquement aux règles de justice naturelle puisque le commissaire ne lui a pas permis de produire à l’audience les recommandations médico-administratives que son expert médical lui adressait en complément de son rapport d’expertise qui était au dossier. En refusant à l’employeur le dépôt des recommandations médico-administratives de son expert, le commissaire l’a empêché de présenter une preuve complète. L’employeur a donc été privé du droit d’être entendu de façon complète et entière, d’autant plus que ce document constituait une preuve non seulement pertinente mais essentielle pour renverser la présomption de lésion professionnelle appliquée par le commissaire. Même si le commissaire jouit d’une grande marge de manoeuvre lorsqu’il s’agit de décider de l’admissibilité de la preuve, son refus a eu un tel impact sur l’équité du processus que l’on ne peut conclure autrement qu’à une violation des règles de justice naturelle. En étant privé de présenter sa preuve, l’employeur a subi un préjudice certain: Casino de Hull et Gascon, [2000] C.L.P. 671 (décision accueillant la requête en révocation).

Accepter en preuve le rapport d'enquête effectuée par la CSST, qui est déjà au dossier transmis à la CLP conformément à la loi, ne constitue pas une violation des règles de justice naturelle. En effet, le résumé de la rencontre est un élément de preuve de la même nature que les notes évolutives de la CSST, documents qui font partie du dossier et que le tribunal est tenu d'apprécier comme toutes les autres pièces au dossier. De plus, l'article 2 des Règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission des lésions professionnelles prévoit que la CLP n'est pas tenue à l'application des règles de procédure et de preuve civiles. Étant maître de ses règles de preuve et de procédure, elle peut admettre une preuve par ouï-dire ou encore des rapports ou témoignages faits par des personnes absentes, pourvu que la partie adverse ne soit pas prise par surprise et qu'elle puisse faire face à une telle preuve de manière adéquate. En l'espèce, le document en question est au dossier depuis fort longtemps. Le travailleur a témoigné devant le tribunal et a assigné des témoins. Il aurait pu également en assigner d'autres, comme l'enquêteur de la CSST, s'il avait voulu les contre-interroger. La Cour supérieure a déjà décidé qu'il n'y a pas lieu de conclure à une violation des règles de justice naturelle si un justiciable n'a pas pris tous les moyens à sa disposition pour exercer le droit au contre-interrogatoire. Le travailleur ayant eu la possibilité de contredire le contenu du résumé de l'enquête, ce document constitue un élément de preuve soumis à l'appréciation du tribunal, sous réserve de ne lui accorder que la valeur probante qu'il mérite: Habib et Cie de la Baie d'Hudson, [2000] C.L.P. 1059.

Le nouvel élément de preuve corroborant la version du travailleur va au coeur du motif invoqué pour expliquer le délai, et semble donc déterminant sur l'issue du litige. Or, la première commissaire refuse de considérer cet élément car il arrive tardivement et qu'il s'agit d'une tentative du travailleur pour bonifier sa preuve. Bien qu'il faille reconnaître que la première commissaire jouissait d'une vaste marge de manoeuvre quant à l'admissibilité de cette preuve, la jurisprudence impose tout de même une limite à l'étendue de ce pouvoir. En effet, le rejet d'une preuve pertinente peut parfois avoir un tel impact sur l'équité du processus que l'on ne pourra que conclure à une violation de la justice naturelle. En l'espèce, la lettre de la procureure, dans la mesure où les faits qu'elle comporte seraient avérés, corroborerait la thèse du travailleur et lui donnerait la crédibilité que la commissaire refuse de lui accorder. Comme cette lettre est un élément de preuve qui risque d'être déterminant sur la question en litige et que la reconnaissance du droit du travailleur de faire valoir ses moyens de fait et de droit sur le bien-fondé de sa réclamation est en jeu, l'équité du processus aurait dû amener la commissaire à examiner ce nouvel élément de preuve. Ainsi, la décision initiale de la CLP est entachée d'un vice de procédure de nature à l'invalider: Melendez et Salerno sacs transparents ltée, 106772-62C-9811, 00-09-20, L. Landriault, (00LP-115) (décision accueillant la requête en révision).

Même si le procureur de l'employeur a demandé par voie d'assignation à comparaître à deux des médecins du travailleur de se présenter pour l'audience ou de lui fournir certains renseignements contenus au dossier médical du travailleur et de répondre à un questionnaire joint à l'assignation, les documents ainsi obtenus ne sont pas irrecevables pour autant; leur recevabilité en preuve ne va pas à l'encontre des règles de justice naturelle ni ne place le travailleur dans une situation d'inégalité par rapport à l'employeur puisque son représentant a été avisé des assignations à comparaître, qu'il a reçu copie des documents et qu'il peut faire témoigner les médecins s'il l'estime nécessaire, voire obtenir des précisions écrites de leur part pour dépôt en preuve: Resto Casino inc. et Amaya, [2001] C.L.P. 534.

La CLP permet au représentant de la travailleuse de déposer, lors de l'audience rendue nécessaire à la suite de la révocation d'une de ses décisions, toute la preuve qu'il avait faite à l'audience initiale, soit le témoignage de la travailleuse enregistré sur cassettes et les documents médicaux qui font maintenant partie du dossier. Le droit d'être entendu peut s'exercer de plusieurs manières, soit en étant présent à l'audience ou encore en déposant des éléments de preuve, et le refus de prendre ces éléments en considération peut constituer un manquement au droit d'une partie de faire valoir ses moyens: Dallaire et Jeno Neuman et Fils inc., 93683-64-9801, 02-06-07, Anne Vaillancourt, (02LP-39).

La CLP ne tient pas compte de l’affidavit d’une employée présenté par la travailleuse. L’accepter sans permettre à l’employeur de contre-interroger le témoin équivaut à introduire une preuve difficile à contredire, ce qui crée une injustice pour l’employeur. De plus, cette personne n’est pas dans l'impossibilité de témoigner, mais simplement absente du pays, et d’autres employés auraient pu présenter la preuve retrouvée à l’affidavit: G...-M... P... et Société Radio-Canada, [2003] C.L.P. 1422, révision rejetée, 189641-71-0208, 05-09-08, C.-A. Ducharme.

Dans le cadre de la contestation du travailleur relative à sa capacité à exercer un emploi convenable, la CLP lui permet, afin de respecter les règles de justice naturelle, de déposer une preuve concernant la détermination de cet emploi convenable déterminé il y a plus de 6 ans, et ce, sous réserve des objections de la CSST quant à la légalité et à la pertinence de cette preuve: Ackad et Robert Mitchell inc., 156248-61-0102, 03-09-03, M. Duranceau, (03LP-132).

Compte tenu du peu de valeur probante qu’offre la simple synthèse d’un rapport d'enquête qui ne contient ni déclaration assermentée, ni pièces et dont le signataire n’est pas disponible pour témoigner, privant les autres parties du droit au contre-interrogatoire, compte tenu du risque de créer de la confusion dans les questions en litige et compte tenu du préjudice indu qu’entraînerait la divulgation de ce rapport pour le tiers intervenant, le rapport d’enquête visé n’est pas recevable en preuve: P... B... et F... S..., 186714-71-0206, 07-02-01, L. Crochetière, (06LP-236).

L'employeur s'oppose au dépôt de la déclaration assermentée de la bénéficiaire dans laquelle celle-ci relate l'événement accidentel survenu à la travailleuse. Il soumet que cet affidavit qui a été transmis au tribunal le 19 avril 2006 est irrecevable puisque la bénéficiaire n'a pas témoigné à l'audience et qu'il n'a pas eu l'occasion de la contre-interroger. L'article 2 des Règles de preuve, de procédure et pratique de la CLP prévoit que le tribunal n'est pas tenu à l'application des règles de preuve et de procédure en matières civiles et qu'il applique ses propres règles de preuve et de procédure dans le respect de la justice et de l'équité procédurale. En l'espèce, la déclaration assermentée de la bénéficiaire a été déposée au dossier en avril 2006. L'employeur savait donc depuis cette date que la travailleuse voulait corroborer sa version des faits par cette déclaration. De plus, il n'a offert aucune preuve établissant qu'il avait été dans l'impossibilité, depuis avril 2006, de valider ou d'obtenir des précisions sur la version des faits de la bénéficiaire, d'obtenir une déclaration assermentée de sa part ou de procéder à un interrogatoire hors cour. La directrice générale de l'établissement a par ailleurs témoigné qu'une de ses employées a communiqué avec la bénéficiaire à la suite de la production de cette déclaration assermentée. La déclaration assermentée de la bénéficiaire est donc recevable en preuve et il revient au tribunal de la retenir ou non: Gauthier et Coop. solidarité soutien domicile, 272245-63-0509, 07-05-25, F. Mercure.

L’affirmation contenue à la première portion de l’écrit émanant du médecin de famille remplace en quelque sorte les notes de consultations médicales et équivaut à dire que la travailleuse n’a jamais consulté son médecin de famille pour des problèmes à l’épaule droite avant novembre 2005. Quant à l'opinion du médecin sur la relation causale, il est permis à une partie de produire au dossier une expertise qui appuie les conclusions qu’elle veut voir reconnaître et il lui est aussi permis de ne pas faire témoigner l’auteur du document. En l’espèce, l’absence de contre-interrogatoire de ce médecin ne constitue pas une violation des règles de justice naturelle et ne prive aucunement l’employeur de présenter une défense pleine et entière puisqu’il a eu l’occasion de présenter sa propre preuve d’expert: Smith et Agence Douanes & Revenu Canada, 288423-04-0605, 08-01-21, D. Lajoie, (07LP-238).

L’ergonome n’a pas produit la littérature à l’appui de son expertise mais les deux normes auxquelles il réfère ont été produites à la fin de l’audience, ce qui a permis au représentant de la travailleuse de pouvoir les commenter dans son argumentation écrite, ce qu’il a d’ailleurs fait. De plus, l’expert réfère à deux études qui ont été produites par l’expert de la travailleuse. D’autres références pertinentes, dont les textes n’ont pas été produits, apparaissent dans la bibliographie à la fin du rapport d’expertise et le représentant de la travailleuse aurait donc pu les consulter. Enfin, lors de l’audience, ce dernier a eu tout le loisir de contre-interroger l’expert de l’employeur, et ce, en présence de son propre expert qui pouvait le conseiller et le guider dans cette démarche. Le témoignage et l'expertise de l’expert de l’employeur sont recevables en preuve. Ils reposent principalement sur les deux normes déposées à l’audience, et le représentant de la travailleuse a donc pu commenter et contredire la substance de l’opinion émise par ce témoin: Smith et Agence Douanes & Revenu Canada, 288423-04-0605, 08-01-21, D. Lajoie, (07LP-238).

Les documents produits par l'employeur sont recevables. Contrairement aux prétentions du travailleur, la preuve n'a pas été déclarée close après l'audience. En effet, on lui a accordé une permission afin de produire une preuve additionnelle compte tenu des documents déposés par le travailleur, et ce, dans le respect des règles de justice naturelle et afin d'assurer à l'employeur son droit à une défense pleine et entière. En effet, c'est seulement en début d'audience que des documents médicaux ont été déposés. L'employeur ne s'est pas opposé au dépôt de ces documents, mais a demandé la permission de pouvoir déposer une preuve additionnelle s'il le jugeait nécessaire après avoir obtenu une opinion médicale. Or, l'opinion du médecin de l'employeur n'est pas une «toute nouvelle preuve» comme le soumet le travailleur. Il s'agit plutôt d'une preuve déposée dans le but de contrer les arguments de ce dernier qui tente d'établir une relation entre le travail de coupeur et l'épicondylite à partir de l'opinion de son médecin. On ne peut donc reprocher au médecin de l'employeur le fait qu'il ait visionné la bande vidéo et révisé le dossier avant d'émettre son avis. Il ne pouvait émettre une opinion sur la relation causale sans procéder ainsi. Quant à la bande vidéo, elle avait été déposée en preuve et il est tout à fait légitime d'en prendre connaissance avant de donner son opinion. Le travailleur aurait pu commenter le contenu de l'avis du médecin de l'employeur plutôt que de demander de ne pas en tenir compte: Parillo et Samuelsohn ltée, 306691-61-0701, 08-03-31, S. Di Pasquale.

La CLP retient que le DSM-IV n’est pas de la nature d’un dictionnaire médical, mais constitue de la preuve. Toutefois, il serait déraisonnable de refuser le dépôt du DSM-IV, car il est de l’intérêt de la justice de rendre les meilleures décisions possible, après avoir obtenu tout l’éclairage possible. Le tribunal ordonne la réouverture de l’audience aux fins de permettre à l’employeur de déposer le DSM-IV, à défaut de quoi il y aurait manquement aux règles de justice naturelle, compte tenu de la teneur particulière du document médical en question, et du fait que l’objection est survenue au moment de la réplique, après que le procureur de l’employeur eut terminé toute son argumentation et longuement commenté ce document ainsi que la jurisprudence qui en faisait mention. En permettant à la travailleuse de présenter une contre-preuve et de répondre ainsi à l’ordonnance de réouverture d’audience, les règles de justice naturelle sont respectées: Tailly et Ministère de la Sécurité publique, 282444-62B-0602, 08-08-01, M. D. Lampron, (08LP-85).

L'avis rendu par le BEM a été déclaré irrégulier par l'instance de révision de la CSST et sa décision n'a pas été contestée. Cet avis ne lie donc pas la CSST ni la CLP. Toutefois, la CLP a compétence pour juger de la pertinence d'une preuve. Elle peut décider de la recevoir ou de la rejeter pourvu qu'il n'y ait pas violation des règles de justice naturelle. À ce sujet, la Cour suprême a précisé, dans Syndicat des employés professionnels de l'Université du Québec à Trois-Rivières qu'«il est certain que la confiance des administrés, qui sont liés par les décisions finales des arbitres de griefs, est susceptible d'être amoindrie par le rejet inconsidéré de preuves pertinentes. Une certaine prudence, à cet égard, est donc indéniablement de mise.» En l'espèce, le contenu du rapport du médecin du BEM est pertinent et l'examen médical ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux de la travailleuse. L'avis rendu a été déclaré irrégulier pour une question de procédure, ce qui ne rend pas illégal l'examen lui-même. Ainsi, en déclarant cette preuve recevable, les règles de justice naturelle sont respectées puisque la travailleuse a eu l'opportunité de contredire les constatations faites par ce médecin en déposant une preuve médicale: Hydro-Québec et Gauthier, 232911-62C-0404, 09-03-10, R. Hudon.

Le travailleur s'oppose au témoignages du médecin de l'employeur parce que ce dernier réfère à une multitude d'études sans toutefois les déposer. Le tribunal considère que si le procureur du travailleur désirait de telles études, il avait tout le loisir d’en faire la demande en temps opportun. Rappelons que les parties se sont rendues jusqu’à la Cour d’appel au sujet d’une objection portant sur la possibilité pour ce médecin de témoigner alors qu’il n’avait pas préalablement soumis de rapport écrit. La Cour mentionne que « …, ce n’est pas parce qu’il y a surprise qu’il y a nécessairement violation de la règle audi alteram partem: plutôt, il faut examiner les mesures prises en vue de remédier à cet effet de surprise et au déséquilibre qu’il est susceptible d’engendrer ». En étant maître de sa procédure et de sa preuve, la CLP a donc les outils nécessaires pour remédier à de telles situations de surprise ou de déséquilibre, pouvant ainsi prévenir une violation des règles de justice naturelle. Encore faut-il que la situation soit signalée au tribunal en temps utile. À défaut, l’éventail des outils disponibles diminue et il peut s'avérer difficile pour le tribunal de remédier aux effets de surprise ou de déséquilibre que peut entraîner une telle situation. Il n'est pas de l’intention du tribunal de déclarer inadmissible le témoignage d’expert du médecin. Cette sanction s’avère démesurée et aurait sans doute à son tour un effet de surprise et de déséquilibre pour l'employeur. Le tribunal entend plutôt considérer cette situation dans l’évaluation de la valeur probante de son témoignage, si certains aspects touchant de telles études sont traités par le tribunal: Yergeau et Cascades Conversion inc.,206424-04B-0304, 09-08-17, S. Sénéchal, (09LP-72).

La CLP n'a pas porté atteinte à l'équité procédurale en permettant à l'employeur de produire des documents après l'audience. C'est la CLP qui a demandé à l'employeur de produire certains documents afin d'obtenir l'éclairage le plus complet possible en regard des faits mis en preuve. De plus, elle a permis au travailleur de répliquer et de formuler des commentaires à la suite du dépôt des documents, dont copie lui a été transmise. Comme tribunal administratif, la CLP peut agir suivant des règles de procédure souples, dans la mesure où l'équité procédurale est respectée. Or, le travailleur ayant choisi de ne formuler aucun commentaire, il ne peut se plaindre au stade de la révision. De toute façon, les documents produits par l'employeur n'apparaissent pas avoir eu un effet déterminant sur la décision: Robert c. CLP, C.S. Trois-Rivières, 400-17-001530-076, 08-10-31, j. Parent.

Ouï-dire

Le rapport du médecin du travailleur était admissible en preuve même s'il constituait du ouï-dire. L'employeur n'a pas été privé de son droit au contre-interrogatoire, mais y a renoncé lorsqu'il a décliné l'offre de la CLP de rendre une ordonnance quelconque, notamment un mandat d'amener, à l'encontre du médecin traitant qui ne s'était pas présenté à l'audience malgré une assignation à comparaître: La Presse c. CLP, [2001] C.L.P. 162 (C.S.).

Bien que la CLP ne soit pas tenue à l’application des règles de procédure et de preuve civiles, elle se doit d’agir dans le respect des droits des parties, en respectant les règles de justice naturelle et le droit applicable. Or, le travailleur veut introduire en preuve trois déclarations écrites et signées par certains travailleurs en leur absence à l’audience. Il s’agit donc de remplacer un témoignage verbal par un témoignage écrit, sans possibilité pour la partie adverse ou pour le tribunal de poser des questions à son auteur. Permettre la preuve demandée par le travailleur serait faire fi des règles de justice naturelle et de l'égalité des parties en privant l’employeur du droit à une défense pleine et entière et à un débat loyal. Ces déclarations devraient être prises comme elles sont, sans possibilité d’en vérifier l’exactitude et la véracité. De telles déclarations ne constituent ni plus ni moins que du ouï-dire et des témoignages écrits puisque leurs auteurs ne peuvent être contre-interrogés. Bien que le ouï-dire puisse être admissible en certaines circonstances précises, par exemple selon le Code civil du Québec lorsque certaines garanties de fiabilité sont respectées, ce n’est pas le cas en l’espèce, les déclarations en cause ne bénéficiant d'aucune présomption de fiabilité ou de validité: Gilbert et Produits forestiers Domtar Matagami sciage, [2004] C.L.P. 741.

Le travailleur a contesté la décision de l'instance de révision après l'expiration du délai prévu à l'article 359. Il allègue qu'il n'aurait reçu la décision contestée que le 22 août 2003. Cependant, cette affirmation est contenue dans une déclaration signée par le travailleur qui est absent à l'audience, privant ainsi l'employeur de son droit au contre-interrogatoire. Ce genre de déclaration écrite peut généralement être admise en preuve en l'absence d'objection et en présence d'une possibilité pour les parties d'interroger l'auteur du document. Ainsi, compte tenu de l'absence du travailleur et de l'objection de l'employeur à ce que le tribunal admette cette déclaration comme preuve des éléments qu'elle contient, le tribunal n'a d'autre choix que de constater qu'il y a absence totale de preuve d'une réception tardive ou d'un motif raisonnable. La déclaration signée par le travailleur ne constitue ni plus ni moins, dans les circonstances de ce dossier, que du ouï-dire ou un témoignage écrit prohibé par les règles de la justice naturelle lorsque l'auteur ne peut être contre-interrogé comme en l'espèce. Le tribunal ne peut donc tenir compte de cette déclaration: Guay et L. Fournier et fils inc., 214998-08-0308, 04-09-28, J.-F. Clément.

L’employeur s’oppose au dépôt d’un document constitué de coupures de journaux en liasse, au motif qu’il s’agit d’une preuve par ouï-dire qui ne peut être vérifiée et peut comporter des résumés de faits qui ne sont pas appropriés et que ces documents ne sont pas pertinents au litige. Cette preuve est admissible et pertinente puisqu’elle tend à démontrer la survenance d’événements violents et le danger représenté par la culture de cannabis. Toutefois, la CLP ne lui accorde pas une grande valeur probante, considérant que la véracité des faits ne peut être vérifiée, et préfère s’en remettre à la preuve offerte par les témoignages rendus à l’audience: Morin et Sûreté du Québec, [2005] C.L.P. 1369.

Comme le laisse entendre la radiologiste, dans son rapport de l'examen par résonance magnétique, le fait que les hernies discales soient situées à gauche ne peut expliquer la lombosciatalgie droite associée à la lésion professionnelle initiale. L'opinion contraire qu'aurait formulée le médecin qui a charge à la représentante de la travailleuse n'est pas recevable en preuve, compte tenu qu'il s'agit d'une preuve qui est de la nature d'une expertise et qu'une preuve d'expert ne saurait être faite par ouï-dire. Il aurait fallu que ce médecin livre son opinion dans une expertise écrite ou qu'il vienne en témoigner, pour que le tribunal puisse en tenir compte: Mendoza-Mairena et Tricots Main inc. (Les), 231566-72-0403, 05-04-13, C.-A. Ducharme.

La demande de retrait de pièces du dossier de la CLP concerne les notes manuscrites du médecin de l'employeur. Il s'agit d'un extrait de la transcription d'une conversation entre ce médecin et le médecin qui a opéré le travailleur. La preuve que l'employeur a introduite au dossier constitue une preuve par ouï-dire. Cependant, l'une des caractéristiques du modèle de droit administratif canadien et québécois est l'autonomie dont disposent les décideurs à l'égard de la procédure et de la preuve. Partant de ce principe fondamental au bon fonctionnement d'un organisme ou d'un tribunal administratif, la règle 2 des Règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission des lésions professionnelles prévoit que le tribunal n'est pas tenu à l'application des règles en matière civile. La preuve par ouï-dire est donc admissible dans la mesure où elle offre des garanties suffisantes de fiabilité et où, conformément aux règles de justice naturelle, l'autre partie se voit offrir la possibilité d'y répondre: Grandmont et P.P.G. Canada inc., 56040-62C-9401, 05-05-02, M. Sauvé.

Le témoignage rendu par la travailleuse contient du ouï-dire. Comme les questions de preuve et d'admissibilité de preuve, sauf exception, demeurent d'ordre privé et non public, et en l'absence de toute objection, le tribunal doit constater que cette preuve est présente au dossier et admissible. D'ailleurs, la jurisprudence a rappelé que la CLP peut accepter toute preuve pertinente selon tout mode de preuve qu'elle juge utile pour les fins de la justice. Bien que la CLP ne soit pas tenue à l'application des règles de procédure et de preuve civiles, elle se doit d'agir dans le respect des droits des parties en respectant les règles de justice naturelles et le droit applicable. Cependant, la prohibition du ouï-dire existe principalement parce que la déclaration qu'on veut ainsi mettre en preuve n'est pas faite par la personne qui a vu ou entendu les faits en litige, que cette personne est absente de l'audience, n'est pas sous serment et ne peut être contre-interrogée. Or, en l'absence de toute autre partie à l'audience, ces motifs ne trouvent aucune application. Bien entendu, l'admission de la preuve par ouï-dire ne dispense pas le tribunal d'en apprécier la valeur probante: Boucher et A & S Lévesque 1993 inc., 251021-04B-0412, 05-05-10, J.-F. Clément.

Le ouï-dire est la preuve d’une déclaration extrajudiciaire offerte pour établir sa véracité et faite par une personne qui ne témoigne pas devant le tribunal. Permettre la preuve demandée par le travailleur serait faire fi des règles de justice naturelle et du principe de l’égalité des parties en privant l’employeur du droit à une défense pleine et entière et à un débat loyal. En effet, les auteurs des trois documents en cause sont absents à l’audience et ne peuvent être contre-interrogés. Au surplus, la preuve que voulait faire le travailleur à l’aide de ces documents a été faite par des témoins de fait et par le travailleur lui-même. L'interdiction de témoigner par écrit sur des faits matériels est une application de certaines règles fondamentales concernant la présentation de la preuve testimoniale. Le Code de procédure civile prévoit qu’un témoin doit prêter serment de dire la vérité et relater devant le tribunal les faits qu’il a personnellement constatés. Ce témoin peut être contre-interrogé, ce qui est impossible lorsqu’un témoignage écrit est déposé. Ces dispositions sont fondamentales pour garantir la véracité d’une déposition et seraient neutralisées si un plaideur pouvait, sans consentement ou renonciation adverse, remplacer un témoignage devant le tribunal par la production d’un écrit relatant des faits. Les documents ne sont donc pas admis en preuve: Violette et Biorex inc., 263568-01B-0505, 06-12-15, J.-F. Clément, (06LP-246).

Dans le cadre de l’exercice de sa compétence, la CLP procède de novo, c’est-à-dire qu’elle se prononce en considérant non seulement le dossier constitué par la CSST, mais également toute autre preuve additionnelle qui s’avérerait pertinente. De nombreux éléments présents dans les dossiers constituent du ouï-dire chaque fois que leur auteur ne témoigne pas devant la CLP, ce qui est la règle plutôt que l'exceptrion. Néanmoins, dans la mesure où ces résumés, ces notes et ces rapports sont faits dans le cours habituel de leur travail par leurs auteurs, que ces auteurs n’ont pas d’intérêt à altérer les faits apparaissant à leurs documents, et en l’absence de faits prouvés démontrant que ces éléments de preuve par ouï-dire ne sont pas fiables, il n’y a pas lieu de les écarter: David et Industries Savard inc., [2008] C.L.P. 602.

L’article 2 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles prévoit que la CLP n’est pas tenue à l’application des règles de procédure et de preuve civiles, ce qui inclut la règle concernant le ouï-dire. Étant maître de ses règles de preuve et de procédure, elle peut admettre une preuve par ouï-dire. La valeur probante des notes de la conversation tenue entre la conseillère en réadaptation et le médecin traitant reste à apprécier: Ouellet et Michael Rossy ltée, 329021-61-0710, 08-07-11, L. Nadeau, (08LP-109).

Le travailleur demande le retrait de deux documents déposés par l'employeur au dossier de la CSST parce qu'ils constituent du ouï-dire. Ceux-ci, une lettre transmise par la conseillère en santé et sécurité du travail et un rapport d'enquête et d'analyse d'accident, contiennent des résumés des versions des témoins sans qu'il y ait de déclarations signées ni assermentées. Or, ainsi qu'il a été mentionné dans l'affaire Grandmont et P.P.G. Canada inc.: «La preuve par ouï-dire est [...] admissible [...] dans la mesure où elle offre des garanties suffisantes de fiabilité et où, conformément aux règles de justice naturelle, l'autre partie se voit offrir la possibilité d'y répondre». En l'espèce, le travailleur avait pris connaissance des documents avant l'audience puisqu'ils faisaient partie du dossier transmis par le tribunal. Il n'est donc pas pris par surprise. De plus, l'employeur lui a remis, avant l'audience, les coordonnées des employés dont les déclarations sont rapportées. Dans ces circonstances, le travailleur pouvait assigner ces personnes à témoigner ou, compte tenu que leurs coordonnées n'ont été portées à sa connaissance que la veille de l'audience, demander un délai pour ce faire. En conséquence, les documents demeurent au dossier et la CLP pourra en apprécier la force probante: Charbonneau et Mécanique CNC 2002 inc., 323580-63-0707, 08-11-10, D. Besse.

La déclaration assermentée est un témoignage écrit qui peut remplacer un témoignage oral. Même si l'article 2 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles prévoit que la CLP n'est pas tenue à l'application des règles de procédure et de preuve civiles, elle doit cependant s'assurer du respect des règles de justice naturelle. Comme l'enseigne la jurisprudence, la recevabilité d'une déclaration assermentée pour remplacer un témoignage oral dépendra des circonstances. En l'espèce, l'employeur a clairement indiqué qu'il contestait le contenu de cette déclaration. La travailleuse a choisi de ne pas faire entendre son signataire comme témoin. Accepter sa déclaration assermentée aurait pour effet de priver l'employeur de son droit de contre-interroger ce témoin. Or, cette déclaration ne se limite pas à relater des faits dont il a été lui-même témoin, mais traite de rumeurs et de croyances au sujet de la travailleuse. La travailleuse n'a fait valoir aucune raison l'empêchant de faire entendre ce témoin, si elle estimait son témoignage essentiel. Par conséquent, la déclaration assermentée est écartée: Servant et Cheminées Sécurité International, 348261-61-0805, 10-05-11, L. Nadeau