LoiLATMP
TitreII LA NOTION DE LÉSION PROFESSIONNELLE: ART. 2, 25 À 31
Section5. Récidive, rechute ou aggravation: art. 2, al. 14
5.02 Une relation entre la lésion initiale et la rechute, récidive ou aggravation alléguée
5.02.1 Les guides ou paramètres établis par la jurisprudence
5.02.1.10 La similitude du site des lésions
Titre du document5.02.1.10.3 La surutilisation d'un membre symétrique
Mise à jour2011-11-01


Généralités

Une nouvelle lésion à un membre symétrique à celui déjà lésé peut être reconnue à titre de RRA quand la preuve démontre, de manière prépondérante, que cette nouvelle lésion découle d’une surutilisation de ce membre faite pour compenser l’incapacité fonctionnelle du membre opposé: Brouillard et Valpiro inc., 226390-08-0402, 04-06-10, G. Morin.

La travailleuse a subi un accident du travail le 7 août 2001 ayant entraîné une tendinite de la coiffe des rotateurs avec capsulite adhésive à l'épaule droite. Elle produit une réclamation pour RRA survenue le 17 juin 2003 en raison d'une tendinite calcifiée avec capsulite de l'épaule gauche. On ne peut examiner ce dossier sous l'angle de la RRA. En effet, selon les critères établis par la jurisprudence, il est clair qu'il ne s'agit pas du même site anatomique «lésé» que lors de la lésion professionnelle initiale. C'est plutôt l'article 1 qui s'applique puisqu'il permet de considérer qu'une conséquence directe d'une lésion professionnelle peut faire l'objet d'une indemnisation. En l'espèce, considérant la preuve prépondérante, on doit conclure que la lésion à l'épaule gauche constitue une conséquence directe de la lésion professionnelle initiale à l'épaule droite. En effet, n'eût été de la survenance de cette lésion, la travailleuse n'aurait pas été amenée à utiliser davantage son épaule gauche: Leroux et LCI Lasercom Clinique International,[2005] C.L.P. 383.

L’article 1 qui énonce l’objet de la LATMP ne doit pas être interprété comme permettant l’indemnisation d'une lésion qui ne peut être qualifiée de lésion professionnelle selon la définition de cette notion qui apparaît à l’article 2. En effet, il ne serait d’aucune utilité de définir la notion de lésion professionnelle s’il était permis, en vertu de l’article 1, de réparer une lésion qui ne correspond pas à la définition retenue par le législateur. Pour prétendre à un droit en vertu de la loi, la travailleuse doit prouver une lésion professionnelle. L'épicondylite au coude gauche dont est atteinte la travailleuse n'est pas une RRA de sa maladie professionnelle, une épicondylite au coude droit. La travailleuse n'a pas repris le travail depuis deux ans au moment où l'épicondylite apparaît du côté gauche. De plus, aucune preuve ne démontre en quoi l'accomplissement des activités de la vie domestique et quotidienne implique la mise en tension des structures épicondyliennes gauches selon une fréquence, une cadence, avec une force ou dans des amplitudes suffisamment intenses pour soutenir que l'épicondyle a été surutilisé: Desbiens et Restaurant L'Orchidée, [2005] C.L.P. 663.

L’apparition d’un nouveau diagnostic après une lésion professionnelle consolidée est généralement analysée sous l’angle de la RRA d’une lésion professionnelle initiale. C’est le cas également lorsqu’il est allégué que la seconde lésion s’est développée par suite de la surutilisation d’un membre pour compenser une incapacité fonctionnelle d’un autre site anatomique ayant fait l’objet d’une lésion professionnelle reconnue initialement et consolidée. Une surutilisation par compensation peut dans certains cas expliquer l’apparition d’une nouvelle lésion, mais cette surutilisation doit être prouvée de façon prépondérante: Binette et Résidence Marie-Laure, 278554-64-0511, 06-07-14, J. David; Fréchette et Barrick Gold Corp., Soc. Aur Barrick (Bousquet), 280604-08-0512, 09-04-06, P. Prégent.

«Le fait que le site de la lésion professionnelle initialement reconnue par la CSST diffère de celui de l’aggravation invoquée ne fait pas en soi obstacle à l'admissibilité d’une récidive, rechute ou aggravation. Lorsque survient une lésion à un membre symétrique à celui déjà lésé, une telle lésion peut être reconnue à titre de RRA si la preuve démontre qu’elle résulte d’une surutilisation de ce membre faite pour compenser l’incapacité fonctionnelle du membre opposé»: Bellemare et Commission scolaire des navigateurs, 213826-03B-0308, 06-11-30, G. Marquis, (06LP-215).

Pour établir un lien de causalité entre un nouveau diagnostic et la lésion professionnelle initialement diagnostiquée, particulièrement lorsque la nouvelle lésion se situe à un membre opposé, une preuve médicale prépondérante est requise: Fréchette et Barrick Gold Corp., Soc. Aur Barrick (Bousquet), 280604-08-0512, 09-04-06, P. Prégent.

Lésions reconnues

Condition personnelle préexistante de mauvais alignement de la rotule droite rendue symptomatique par la surutilisation de la jambe droite du travailleur en raison d'une lésion professionnelle, soit une entorse au genou gauche: Bouchard et Tricots imprimés Trois-Rivières inc., 105277-04-9809, 99-02-11, M. Carignan.

Tendinite à l'épaule gauche résultant d'une surutilisation du bras gauche en raison d'une lésion professionnelle à l'épaule droite subie trois ans plus tôt, soit une tendinite aiguë ayant nécessité une acromioplastie. L'utilisation presque exclusive du membre supérieur gauche a aggravé une condition personnelle de dépôt calcaire à l'épaule gauche auparavant asymptomatique: Giguère et Alimentation Giguère inc., 162806-03B-0106, 02-02-04, C. Lavigne.

La travailleuse s’est blessée au poignet gauche en raison de l’utilisation excessive qu’elle en a fait dans l'exercice de sa tâche pour ménager son poignet droit (membre dominant) opéré quelques mois auparavant à la suite d'une lésion professionnelle: Hotte et Service travail-maison, 186919-64-0206, 02-10-22, J.-F. Martel, (02LP-127).

Les patients ayant subi des arthrodèses de l'épaule doivent utiliser les muscles de l'omoplate, du trapèze et du cou pour mobiliser l'épaule blessée (gauche) parce qu'elle est arthrodésée. Il est probable que la surutilisation de ces muscles soit la cause de la cervico-brachialgie du travailleur: Gagné et Stone Consolidated inc., 180827-01A-0202, 04-03-08, D. Sams.

Le travailleur a subi, lors de l'accident du travail de mars 2003, une fracture de la tête radiale et de l'apophyse coronoïde gauche ainsi qu'une subluxation postéro-externe au coude gauche, laquelle lésion a été consolidée avec séquelles permanentes. Selon un rapport d'évaluation médicale d'octobre 2003, il devait notamment éviter de soulever avec son membre supérieur gauche des poids de plus de 25 kg. Or cette limitation fonctionnelle constituait une erreur et a été modifiée à 25 livres en mai 2004. En août 2003, le travailleur commence un emploi pour une entreprise de portes et fenêtres, d'abord affecté à des travaux légers, puis au bout d'un mois, à des tâches régulières d'installateur de portes et fenêtres. Les douleurs à l'épaule droite se sont manifestées graduellement. La notion de lésion professionnelle s'applique dans le contexte d'une RRA de la lésion initiale. L'erreur du médecin quant au poids à éviter de soulever est importante et explique d'autant plus la compensation faite par le travailleur avec son membre supérieur droit, qu'il sollicitait déjà plus souvent lorsqu'il soulevait et déplaçait des charges lourdes, tels que des outils, des madriers, des sections d'échafaudage, des portes et des fenêtres, notamment lorsqu'il a commencé son travail régulier comme installateur de portes et fenêtres. Il a dû modifier sa façon de travailler et s'ajuster en fonction de ses limitations fonctionnelles, même s'il est droitier, afin de protéger son coude gauche. Le travailleur a donc subi une lésion professionnelle, en décembre 2003, due aux conséquences et surtout aux limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle initiale: Tremblay et J. P. Drouin Excavation inc., 243708-03B-0409, 05-06-20, R. Savard.

Le ou vers le 17 mars 2005, la travailleuse a présenté un syndrome du canal carpien gauche, relié au fait qu’elle a utilisé davantage son membre supérieur gauche dans des tâches exigeant notamment une préhension pleine main avec force, de façon soutenue ou fréquente, et ce, en raison des séquelles de sa lésion professionnelle de 1992, soit une fracture ouverte du cinquième doigt droit qui a nécessité une amputation du doigt et entraîné entre autres un syndrome de dystrophie réflexe. Le syndrome du canal carpien constitue donc une lésion professionnelle sous la forme d'une aggravation de sa lésion de 1992: Drolet et Les Cadres Columbia inc., 269053-71-0508, 06-02-10, L. Landriault, (05LP-291).

Le syndrome fémoro-patellaire au genou gauche est admissible à titre de RRA d'une lésion professionnelle initiale touchant le genou droit de la travailleuse qui a nécessité des interventions chirurgicales. Il y a eu surutilisation du membre inférieur gauche pour compenser l’incapacité fonctionnelle du membre opposé, alors qu’aucune limitation fonctionnelle n’avait encore été émise: Bellemare et Commission scolaire des navigateurs, 213826-03B-0308, 06-11-30, G. Marquis, (06LP-215).

Les modifications dégénératives des compartiments du genou gauche sont en partie tributaires du vieillissement normal des structures mais aussi d'une sollicitation compensatoire de ce genou en raison de l'amputation de la jambe droite du travailleur au cours de son accident du travail de 1993. Depuis lors, le travailleur se sert de son membre inférieur gauche pour déplacer son fauteuil roulant et lors de la démarche unipodale. Les diagnostics de lésion méniscale et d'arthrose bi-compartimentale sont en relation avec une surutilisation du membre inférieur gauche attribuable aux conséquences de l'amputation de la jambe droite: Bergeron et Division Kvaerner Canada inc., 228679-63-0402, 07-01-11, D. Besse.

L'arthrose au genou gauche de la travailleuse est devenue symptomatique à cause de la surutilisation du membre gauche afin de compenser l'incapacité fonctionnelle du genou droit, résultant d’une déchirure d'un ménisque ayant nécessité une méniscectomie. La lésion initiale a entraîné des limitations fonctionnelles importantes pour le genou droit et la travailleuse a continué à être suivie pour ce genou et recevait des infiltrations. Sa condition douloureuse a donc perduré après la consolidation. La douleur au genou droit était intense et elle avait tendance à transférer son poids au membre inférieur gauche. Par ailleurs, la blessure subie au genou gauche à l'âge de 18 ans et ayant entraîné une méniscectomie était guérie et la travailleuse n'a jamais présenté de douleurs à ce genou avant l'accident du travail impliquant le genou droit. En outre, même si la travailleuse n'est pas retournée au travail depuis 2000 et que ses déplacements ont été limités en raison de sa lésion, cela ne signifie pas nécessairement qu'il ne peut y avoir un phénomène de «surutilisation», soit un patron de marche modifié avec un temps d'appui prolongé à gauche. Enfin, même si la travailleuse a moins utilisé le membre inférieur gauche pour un certain temps en raison d’une épine de Lenoir, on ne peut conclure qu'il n'y a pas eu surutilisation: Plourde et Plaisirs Gastronomiques inc., 344943-61-0804, 08-12-16, S. Di Pasquale.

Le travailleur subit une lésion professionnelle initiale en 1977 à la région lombaire et de nombreuses RRA par la suite. En l'espèce, dès 1991, le travailleur a surutilisé le côté droit de son corps pour pallier la paralysie qui l'affectait du côté gauche. L'obligation de s'appuyer sur le côté droit existait depuis 18 ans au moment où il a fait ses demandes à la CSST en 2009. De plus, dès 1992, il a été constaté que le travailleur devait se supporter pour monter et descendre un escalier, le membre inférieur gauche traînait et il devait utiliser une canne pour se déplacer. En conséquence, la preuve appuie la reconnaissance d'un lien entre les pathologies dont le travailleur souffre et les lésions initiales: Gourd et Maislin Transport ltée (F), 407937-63-1004, 10-12-17, L. Morissette.

Lésions non reconnues

La travailleuse a subi une lésion professionnelle diagnostiquée comme étant une tendinite de la longue portion du biceps et du sus-épineux droit. Elle fait une réclamation sept ans plus tard pour le même type de lésion, mais du côté gauche, alléguant une surutilisation de son bras gauche en raison de la lésion au bras droit. La travailleuse n'est pas retournée au travail depuis sept ans. La preuve de surutilisation du bras gauche chez une travailleuse retirée du marché du travail et qui a peu d'activités est insuffisante. De plus, les médecins de la travailleuse ne précisent pas la mensuration des bras à l'époque de la réclamation, ce qui aurait été un élément important permettant d'objectiver la sous-utilisation d'un membre et peut-être la surutilisation de l'autre: Frigault et C.S.D.M., 90759-61-9708, 99-04-06, L. Crochetière, (99LP-12), révision rejetée, 00-02-25, S. Di Pasquale.

Les patients ayant subi des arthrodèses de l'épaule doivent utiliser les muscles de l'omoplate, du trapèze et du cou pour mobiliser l'épaule blessée (gauche) parce qu'elle est arthrodésée. Il est probable que la surutilisation de ces muscles soit la cause de la cervico-brachialgie du travailleur. Toutefois, vu sa relative inactivité à l'époque concernée, il n'y a pas de preuve d'une surutilisation ou d'une sollicitation suffisamment importante de l'épaule droite et du cou pour avoir causé une atteinte aux articulations. Il n'y a donc pas lieu de reconnaître les diagnostics de tendinite à l'épaule droite, d'arthrose cervicale et de radiculopathie C7: Gagné et Stone Consolidated inc., 180827-01A-0202, 04-03-08, D. Sams.

En avril 2005, le travailleur a été victime d’un accident du travail lorsqu'une poutre d'acier est tombée sur sa main droite. Une fracture ouverte de l'articulation métacarpo-phalangienne de l'index droit, une tendinite du sus-épineux droit et une déchirure de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite ont été diagnostiquées. En 2006 et en 2007 respectivement, une tendinopathie et une déchirure de la coiffe des rotateurs de l'épaule gauche ont été diagnostiquées. La notion de surutilisation par compensation implique la preuve d'une sollicitation suffisamment importante des structures du site anatomique lésé pour expliquer la nouvelle pathologie qui s'y est développée. Or, le travailleur n'a pas prouvé que ses activités reliées à la vie quotidienne sollicitaient la coiffe des rotateurs et, encore moins, qu'elles le faisaient avec une telle intensité, par l'amplitude des mouvements accomplis ou autrement, qu'il en ait résulté une surutilisation des structures lésées. En effet, il n'a pas occupé d'emploi après l'accident du travail et a réduit considérablement ses activités quotidiennes: Synnott et Construction Garnier ltée, 322458-01B-0707, 08-04-07, R. Arseneau.

À la suite de sa lésion professionnelle au genou gauche, le travailleur a développé sur plusieurs années une lésion au genou droit. Sans préciser la nature et l'intensité de la sollicitation du membre inférieur droit, le médecin du travailleur tente de relier la condition du genou droit à une surutilisation qui serait secondaire à la gonarthrose importante au genou gauche. Son opinion repose davantage sur des hypothèses que sur une preuve médicale prépondérante. Il y a lieu de retenir l’opinion du médecin de l'employeur précisant que l’absence de plaintes de la part du travailleur, concernant une symptomatologie au genou droit, et ce, pendant 19 ans et lors de multiples consultation médicales, est un élément essentiel qui fait obstacle à la notion de surutilisation: Fréchette et Barrick Gold Corp., Soc. Aur Barrick (Bousquet), 280604-08-0512, 09-04-06, P. Prégent.

L’événement initial implique l’épaule gauche et la région cervicale alors que les RRA alléguées concernent l’épaule et les structures épicondyliennes droites. Ces dernières lésions sont diagnostiquées suite à des douleurs rapportées par la travailleuse alors qu’elle était déjà en arrêt de travail. Le tribunal estime donc devoir analyser la preuve d’une surutilisation d’un membre pour compenser l’incapacité fonctionnelle d’un membre opposé en fonction des activités de la vie quotidienne de la travailleuse. La preuve ne démontre pas que ses activités, plutôt limitées, ont pu entraîner une surutilisation excessive de l’épaule et des structures épicondyliennes droites. De plus, la travailleuse est droitière et le fait pour elle de se servir de son membre dominant de façon plus importante n’a rien d’inhabituel: Essiambre et Magasin Coop de St-Siméon, 350195-01C-0806, 10-08-18, J.-F. Clément.

Le travailleur a subi une lésion professionnelle en octobre 2005, soit une contusion, une entorse et une déchirure du ligament croisé antérieur du genou gauche, laquelle a nécessité des interventions chirurgicales. Il a produit une réclamation pour une RRA survenue en août 2008, à la suite d'un diagnostic de gonalgie au genou droit. Le simple fait d'avoir une lésion importante à un genou ne signifie pas qu'il y a eu surutilisation par compensation du genou contra-latéral. Il n'y a aucune preuve médicale concernant une boiterie observée par un médecin ni sur l'effet du port de l'orthèse stabilisatrice. La preuve factuelle et la preuve médicale n'ont pas démontré que des modifications biomécaniques, lors de la marche ou un changement important dans le patron de marche ou d'appui, auraient contribué de façon significative à un dérangement au genou contra-latéral ayant eu pour effet une surutilisation du genou droit par compensation. Le travailleur n'a donc pas subi de lésion professionnelle: Lagacé et Asphalte & Pavage RF, 2011 QCCLP 3898.