Le défaut d'examen peut invalider le rapport complémentaire
Bien que la CSST et la CLP soient liées par l’avis du médecin du travailleur entérinant les conclusions du médecin désigné en vertu de l’article 204 LATMP, la réponse du médecin du travailleur à l’avis du médecin désigné devait être claire et limpide. En l’espèce, le rapport complémentaire du médecin traitant au niveau de la consolidation n’est pas clair en soi et, par référence à l’avis du médecin désigné qui est lui aussi à tout le moins nébuleux, on doit conclure que la lésion n’est pas consolidée. On ne peut conclure que le médecin traitant aurait pu consolider la lésion sans réexaminer le travailleur et on ne peut donc parler d’une opinion claire, précise, limpide et étayée. D’ailleurs, tous les rapports médicaux subséquents ont déclaré la lésion non consolidée après des examens médicaux, et ces avis du médecin qui a charge doivent prévaloir. Le rapport complémentaire du médecin qui a charge ne lie donc pas la CSST: Bacon et General Motors du Canada ltée, [2004] C.L.P. 941.
Lorsque le médecin qui a charge exprime son accord avec l'opinion du médecin désigné par la CSST, cette opinion devient celle du médecin qui a charge et lie la CSST ainsi que la CLP. Toutefois, cette opinion doit être basée sur un examen récent du travailleur et être étayée. Le dernier rapport médical du médecin qui a charge ne consolidait pas la lésion, mais recommandait plutôt la poursuite des traitements. Trois mois plus tard, sans avoir réévalué le travailleur, le médecin s'est dit d'accord avec les conclusions du médecin désigné. Il n'explique ni n'étaye ses conclusions. De plus, contrairement à ce qui est prévu à l'article 205.1, il n'a jamais informé le travailleur du contenu de son rapport. Le tribunal n'est donc pas lié par son rapport complémentaire: Meubles Lorenz et D'Angelo, 2011 QCCLP 1491.
Le rapport complémentaire du médecin qui a charge ne lie pas le tribunal, puisqu’en entérinant les conclusions du médecin désigné quant à l'atteinte permanente que conserve le travailleur, sans avoir examiné le travailleur à cette fin ni avoir discuté avec lui et sans étayer son opinion, ce médecin n’a pas exercé de manière responsable son jugement professionnel:
Guitard et Peinture G.& R. Lachance inc., 2011 QCCLP 2731.
Sans avoir revu le travailleur et après avoir pris connaissance de l'évaluation du médecin désigné, le médecin qui a charge s'est rallié aux conclusions de ce dernier et a conclu que la lésion professionnelle était consolidée sans séquelle. Avant la rédaction de son rapport complémentaire, le médecin qui a charge n'avait examiné le travailleur qu'une seule fois, et ce, un mois auparavant. Il ne s'agit pas d'une situation où ce médecin assurait déjà le suivi médical du travailleur depuis quelque temps et où l'on peut inférer qu'il connaissait très bien sa condition. Il n'avait pas une connaissance suffisante de l'état du travailleur et de l'évolution de sa condition lorsqu'il a rédigé le rapport complémentaire. Par ailleurs, entre le moment où le médecin qui a charge a examiné le travailleur et celui où il a produit son rapport complémentaire, le travailleur a consulté un autre médecin de la clinique médicale, lequel a émis une référence à la clinique de la douleur. Il considérait donc que des soins étaient toujours nécessaires. De plus, le travailleur n'a jamais été informé de l'opinion du médecin qui a charge. Il serait contraire à l'esprit de la loi de reconnaître un caractère liant à l'opinion de ce médecin. Il y a donc lieu de conclure que le rapport complémentaire du médecin qui a charge n'avait pas de caractère liant, que la CSST était fondée à soumettre le dossier au BEM et que l'avis rendu par ce dernier est régulier: O'Connor et Cri Environnement inc., 2011 QCCLP 2977.
Le défaut d'examen n'invalide pas le rapport complémentaire
Même si le médecin de la travailleuse ne l'a pas examinée avant d'émettre son accord avec les conclusions du médecin désigné par la CSST, ce fait n'invalide pas son accord. En effet, le médecin de la travailleuse la suivait depuis plusieurs années, l'avait dirigée vers différents médecins, avait pris connaissance de l'avis des spécialistes consultés, avait en main les résultats des différents examens radiologiques, avait pris connaissance de façon rigoureuse de l'examen du médecin désigné par la CSST et avait discuté avec la travailleuse avant d'émettre son accord. Par ailleurs, si la réponse du médecin de la travailleuse n'est pas conforme à l'article 205.1 parce qu'elle ne constitue pas une opinion étayée et motivée ni un rapport de consultation motivé, dans les circonstances, compte tenu du fait que le médecin de la travailleuse avait été contacté à plusieurs reprises par la CSST au sujet de ses conclusions et qu'il avait discuté avec sa patiente, sa réponse à l'avis du médecin désigné par la CSST ne peut être considérée comme nulle pour ce motif. La procédure d'évaluation médicale a été respectée: Lussier et Berlines RCL inc., 122844-05-9908, 00-09-21, L. Boudreault.
Le fait que le médecin ayant charge du travailleur ne l'ait pas revu ou ne l'ait pas examiné de nouveau avant de produire son rapport complémentaire n'invalide pas la procédure d'évaluation médicale: St-Germain et Finition Laurier inc., 205813-04B-0304, 04-02-26, L. Collin.
Le médecin qui a charge s'est dit d'accord avec le médecin désigné sans avoir procédé à un nouvel examen de la travailleuse. Il la suivait déjà et l'avait examinée en plus de la diriger vers d'autres spécialistes. Si ce médecin a jugé que l'examen du médecin désigné était fiable et complet, rien ne l'empêchait de s'en remettre aux conclusions de ce médecin expert. La loi n'exigeait pas de lui qu'il examine à nouveau la travailleuse avant de produire son rapport complémentaire puisqu'il avait en sa possession le dossier de cette dernière et l'expertise du médecin désigné. L'article 205.1 permet au médecin d'étayer son rapport afin de contredire celui du médecin expert. Il s'agit là d'une volonté du législateur de permettre au médecin du travailleur de s'expliquer plus longuement qu'il ne peut le faire sur une petite attestation médicale et de faire contrepoids auprès du BEM devant l'avis habituellement très détaillé du médecin désigné. Cependant, lorsqu'un médecin se rallie à l'opinion du médecin désigné, nul n'est besoin d'étayer son rapport ou son opinion puisqu'en se rangeant à l'avis du médecin désigné, il épouse son opinion et sa motivation: Paquette et Aménagement forestier LF, 246976-08-0410, 05-07-06, J.-F. Clément.
Le médecin de la travailleuse n’a aucune obligation de l’examiner avant d’adhérer aux conclusions et motivations du médecin de l'employeur. Par ailleurs, son opinion à cet égard doit être claire et limpide:Tremblay et Providence Notre-Dame de Lourdes, 247398-71-0411, 06-02-24, C. Racine, révision rejetée, [2007] C.L.P. 508, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-17-038220-078, 08-10-07, j. Marcelin.
Le médecin du travailleur était bien au fait de la condition de son patient pour l’avoir opéré et pour l’avoir revu par la suite à plusieurs reprises. Lorsqu’il a été invité à produire un rapport complémentaire, il en était justement rendu à finaliser la question des séquelles de la lésion professionnelle, comme il l’avait annoncé dans un rapport précédent. Il y a tout lieu de conclure que les conclusions du médecin de l'employeur sur l’atteinte permanente rejoignaient sa propre analyse du dossier et il a jugé inutile de revoir son patient pour procéder à cette évaluation, ce qu’il était en droit de faire. Par ailleurs, il a été suffisamment clair et limpide lorsqu'il s'est déclaré en accord avec la conclusion émise par le médecin de l'employeur concernant l'atteinte permanente et il n'avait pas besoin de motiver davantage: Jean et Belron Canada inc., [2006] C.L.P. 473.
Le médecin qui a charge était arrivé à la conclusion qu'il n'y avait plus rien à faire pour la travailleuse. Le médecin désigné par l'employeur est arrivé à la même conclusion, de façon contemporaine. Dans ce contexte, le médecin qui a charge n'avait pas à examiner de nouveau la travailleuse. En présence d'un examen par résonance magnétique normal, il n'y avait rien à objectiver. Le médecin qui a charge avait en main tous les éléments requis pour compléter un rapport complémentaire et un rapport final de manière éclairée, sans avoir besoin d'examiner de nouveau la travailleuse: Hamilton et Toyota Pie IX inc., 312268-63-0703, 10-03-04, P. Perron, révision rejetée, 2011 QCCLP 1532.
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