LoiLATMP
TitreXII LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES: ART. 359, 359.1, 367 À 429.59, 450 ET 451
Section4. La preuve
4.3 La recevabilité de la preuve
4.3.1 Les critères
Titre du document4.3.1.2 La qualification de l'expert
Mise à jour2011-11-01


L’audiologiste admet ne pas avoir d’autorité pour poser un diagnostic. Cependant, puisqu’il possède un doctorat en audiologie, il peut commenter tout ce qui a trait à un problème d’audition. D’emblée, la CLP considère qu’il y a lieu d’entendre son témoignage, car il s’agit dans les faits de respecter le droit d’être entendu qui veut que toutes les parties intéressées puissent se faire entendre et faire entendre les témoins de leur choix. En somme, dès que les qualifications, l'expertise et l’expérience du témoin expert sont établies, celui-ci est habile à témoigner et le véritable débat en est alors un de crédibilité et de valeur probante du témoignage. L’expertise écrite de l’audiologiste peut donc être déposée en preuve dans son intégralité et l’audiologiste pourra témoigner à l’audience: Di Francesco et Pratt & Whitney Canada inc., [1998] C.L.P. 994; Beaulieu Canada (Tapis Perless) et Montcalm, 87291-04B-9704, 01-03-28, L. Collin.

Sur la question de la reconnaissance du statut d’expert du médecin de l’employeur, la CLP rappelle qu’il y a une distinction à apporter entre l’admissibilité d’un témoignage et la valeur probante à lui accorder en raison de la crédibilité ou de la partialité d’un témoin. Par ailleurs, le fait que ce médecin ne soit pas membre de la Société des médecins experts du Québec n’a pas d’importance, puisque l’exercice de la fonction de médecin expert n’est pas exclusif aux membres de cette société et que le titre de médecin expert ne leur est pas réservé. Le Code des professions ne fait aucune distinction entre ceux qui font de l'expertise médicale et ceux qui n’en font pas et ne réserve pas non plus le titre de médecin expert aux seuls membres de cette société. Dès lors, il est faux de prétendre que le fait d’être ou de ne pas être membre de la Société des médecins experts du Québec a une quelconque influence sur la reconnaissance, par un tribunal administratif, du statut d’expert: Levert et Hydro-Québec, [2002] C.L.P. 804.

Un témoin expert, contrairement au témoin ordinaire, est autorisé à donner son opinion lors d'une instance afin de permettre une évaluation d'un aspect scientifique, technique ou spécialisé dans un domaine qui ne fait pas l'objet d'une connaissance d'office. Le témoin expert est ainsi autorisé à donner son avis car il possède une expertise reconnue dans un domaine. Le témoignage d'expert est admissible en preuve à certaines conditions: il doit être accepté comme expert en raison de ses études ou de son expérience et la question sur laquelle l'expert est appelé à témoigner doit se prêter à une expertise. Cette expertise peut être reconnue à la suite d'une formation académique spécifique, d'une expérience qui dépasse les standards usuels, d'une reconnaissance par les pairs ou par les institutions d'enseignement spécialisées. Par ailleurs, l'instance devant laquelle le témoin expert est appelé à témoigner s'attend, puisqu'il s'agit d'une opinion sur un sujet qu'elle ne connaît pas, à une autonomie et à une indépendance qui permettent d'apprécier adéquatement la force probante à attribuer à son opinion: Journal de Montréal et Benoît, 176782-62-0201, 02-12-03, R. L. Beaudoin.

Le témoin assigné à titre d'expert par les parties requérantes témoigne sur ses connaissances et son expérience en matière d'imputation, relativement au régime rétrospectif, au régime du taux personnalisé et du taux de l'unité; il dépose son curriculum vitae. La CSST soutient que ce domaine est réservé à un actuaire membre de l'Institut canadien des actuaires qui a le titre de fellow, conformément aux dispositions de l'article 286. L'analyse sur la qualité d'expert du témoin doit se situer dans le cadre des dispositions des articles 330 et 312 (1), ce dernier article concernant le taux de cotisation d'une unité ou de plusieurs unités de classification. Or, l'expérience du témoin assigné s'avère fort développée dans ce domaine. Le tribunal doit rendre une décision éclairée sur le sujet dont il est saisi et il est manifeste que l'expertise du témoin assigné constitue un atout en ce sens. Le statut de témoin expert est donc reconnu au témoin assigné: Brasserie Labatt ltée et CSST, 137629-63-0005, 03-03-18, M. Denis.

La question soulevée par l’employeur ne concerne pas le fait que le pneumologue réponde aux critères pour la reconnaissance de la qualité d’expert, mais concerne plutôt son indépendance et son autonomie professionnelle du fait qu'il a siégé au Comité des maladies professionnelles pulmonaires dans le dossier du travailleur. Cette question ne constitue pas un facteur pertinent à la détermination de sa qualité de témoin expert, mais relève plutôt de la question de la crédibilité et de la valeur probante à accorder à l'opinion donnée. Le témoignage du pneumologue est admissible puisque son rôle auprès de la CSST s’est limité à un niveau consultatif, qu’il n’a pas rendu de décision dans le dossier, les décisions ayant été rendues par la CSST: Unimin Canada ltée et Labelle, [2003] C.L.P. 678, révision accueillie sur un autre point, [2004] C.L.P. 910.

Le dépôt du document (DSM-IV) ayant été demandé durant le déroulement de la preuve de la travailleuse, l’employeur aurait pu, ce qu’il n’a pas fait, demander au tribunal une suspension afin de convoquer les témoins appropriés de façon à commenter ou contester l’extrait déposé. La règle audi alteram partem a donc été respectée: Beaulieu et Service correctionnel du Canada, 174708-62A-0112, 03-09-12, D. Rivard, (03LP-148).

Le témoignage de l’enquêteur de la CSST ne constitue pas un témoignage d’expert puisque les faits sur lesquels il est entendu, soit l’état des stationnements dans la région, ne concernent nullement des questions scientifiques, techniques, complexes ou d’opinion et ne sont donc pas réservés à un témoin expert: Bacon et General motors du Canada ltée, [2004] C.L.P. 941.

Le témoignage du médiateur qui a rencontré les parties dans le cadre d'une plainte pour harcèlement n'est pas recevable à titre de témoin expert En effet, la preuve d’un expert doit être pertinente, nécessaire et apportée par une personne qui se voit reconnaître le statut d’expert. Cette reconnaissance permet ensuite de livrer un témoignage d’opinion au tribunal. L’opinion doit porter sur une question scientifique, professionnelle ou technique. Le rôle de l’expert est alors d'éclairer le tribunal et de l’aider dans l'appréciation d’une preuve portant sur des questions techniques ou scientifiques. Son opinion doit donc porter sur une question qui fait appel à des connaissances qui dépassent les connaissances habituelles du décideur. Or, le médiateur n’est ni médecin ni psychologue et son champ d’expertise est la médiation. La CLP est la seule juge des faits et c’est elle qui devra décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle: Salenius et Bombardier Aéronautique inc., [2004] C.L.P. 1193.

Il faut faire la distinction entre la qualité d’expert attribuée à un témoin et celle de l’impartialité d’un témoin en fonction du témoignage qu’il doit rendre et de sa valeur probante. En l’espèce, aucun élément de preuve ne permet de douter de la qualité de médecin du témoin ou encore de son expérience en médecine du travail. Ainsi, le médecin de l'employeur constitue un expert dans son domaine, et le fait qu’il soit embauché par une partie n’entache pas automatiquement sa qualité d’expert, mais plutôt celle de son impartialité compte tenu de son rôle devant le tribunal. Si la CLP devait rejeter les témoignages de tous les médecins qui sont embauchés par l’une ou l’autre des parties, cela aurait pour effet de la priver d’un éclairage parfois fort utile pour l’appréciation de la preuve et de priver les parties d’un droit à une défense pleine et entière: Centre hospitalier de Charlevoix et Deschênes, [2004] C.L.P. 1754.

Le médecin traitant peut témoigner à titre d'expert. Par le dépôt de son curriculum vitae, le médecin a démontré qu'il a des compétences en psychiatrie qui lui permettent de donner son opinion. Le fait d'être le médecin traitant ne l'empêche pas d'agir en toute objectivité devant la CLP. Bien au contraire, le tribunal y voit plutôt un élément qui donne du poids à son témoignage car il est celui qui connaît davantage la travailleuse, et ce, à tous les points de vue. Comme pour les autres témoignages, la CLP devra évaluer la force probante de ce témoignage: Marlin Chevrolet Oldsmobile inc. et Pouliot, 184432-31-0205, 04-08-04, M. Beaudoin, (04LP-101).

Le seul fait qu’un témoin expert soit l’employé d’une partie au litige ne le rend pas inhabile à témoigner. Ce que le tribunal doit apprécier, c’est la valeur probante à conférer à son opinion. D’ailleurs, la question de la partialité de l’expert a été maintes fois considérée comme non pertinente à la question de la recevabilité de son témoignage: Derko ltée et Rochon, [2005] C.L.P. 401, révision rejetée, 247552-32-0411, 06-03-22, S. Sénéchal.

Le médecin du travailleur, qui est chirurgien orthopédiste, peut intervenir dans un champ de compétence qui n'est pas le sien. Même si, à quelques occasions, la jurisprudence a préféré accorder une plus grande valeur probante à l'opinion d'un médecin spécialiste qui intervient dans sa sphère de spécialité plutôt qu'à un médecin généraliste, chaque cas doit être apprécié selon ses éléments constitutifs et selon son mérite propre en toute justice. Or, en l'espèce, bien que le médecin du travailleur soit un chirurgien orthopédiste, 40% de sa pratique s'effectue en chirurgie rachidienne qui inclut la chirurgie cervicale, soit un des sites que la CLP doit examiner dans le cadre de la contestation dont elle est saisie: Morin et Beaudry & Lapointe ltée, 239128-08-0407, 05-04-19, P. Prégent.

Rien dans la loi ou les règles de preuve n’oblige un expert à avoir examiné le travailleur pour soumettre une opinion, et ce, même lorsque l’expert produit un rapport. L’expert donne son opinion sur la base d’une histoire bien documentée au dossier. Son avis n’aura peut-être pas la même force probante que l’opinion d'une personne qui a examiné le travailleur, mais il s’agit là d’une question d’appréciation de la preuve qui ne concerne pas la recevabilité du témoignage: Bélanger et 2643-2187 Québec inc., 207544-62B-0305, 05-06-13, Alain Vaillancourt, (05LP-41).

La reconnaissance du statut d'expert fait appel aux qualifications, aux compétences et à l'expérience de la personne appelée à témoigner en cette qualité, eu égard à la question sur laquelle elle s'apprête à livrer son opinion. Dans son document «Attentes relatives au rôle des experts», (les lignes directrices), la CLP a également repris cette définition jurisprudentielle aux articles 5.1 et 5.2. En l'espèce, le témoin a déposé son curriculum vitae et a témoigné sur ses qualifications, ses compétences et son expérience dans le domaine du harcèlement et de la violence au travail. Le statut d'expert peut lui être accordé à ce chapitre. Il a admis qu'il ne possédait pas de formation médicale en matière psychique et il n'est pas appelé à témoigner sur cet aspect: Ferrara et Ville de Mascouche, 249589-63-0411, 06-07-14, M. Gauthier.

L'employeur s'est opposé à ce que l'expert de la travailleuse soit reconnu comme tel. Or, son objection ne peut être retenue. En effet, ce dernier détient un baccalauréat en physiothérapie, une maîtrise en kinésiologie et un doctorat en physiologie neuromusculaire obtenu en 1982. Il est professeur titulaire dans une faculté de médecine et agit comme consultant et expert auprès de divers organismes dont la CSST, la SAAQ et l'IRSST. Il est considéré comme un spécialiste de la physiologie du mouvement, de par sa formation académique et sa vaste expérience, et il s'agit là d'un domaine très connexe à l'ergonomie. Son statut d'expert en ergonomie a d'ailleurs souvent été reconnu par la CLP. Bien qu'il ne soit pas spécialiste des tendons, ses qualifications et son expérience justifient la reconnaissance de son statut d'expert en ergonomie, en tenant compte du fait qu'il ne s'agit pas d'un titre protégé: Hamel et Hôpital Laval, 263828-31-0506, 07-07-03, M.-A. Jobidon.

L’omission du commissaire de se prononcer sur la qualité d’expert du médecin de la travailleuse, dans l'hypothèse où il lui aurait reconnu une telle expertise, n’a aucun effet déterminant sur le sort du litige. En effet, l’opinion d’un médecin n’acquiert pas une valeur probante plus importante du seul fait qu’elle émane d’un médecin spécialiste ou d’un médecin autorisé à témoigner comme témoin expert dans un domaine. Sa valeur probante doit être évaluée au même titre que tout autre élément de preuve, et ce, en tenant compte de tous les éléments de la preuve: Lévesque et Société de transport de Montréal, 246290-62-0410, 07-09-28, C.-A. Ducharme, (07LP-146) (décision sur requête en révision).

On ne peut refuser d'accorder le statut d'expert à un témoin du seul fait qu'il a travaillé pour la personne qui lui demande de témoigner à ce titre. Le lien employeur-employé n'est pas un facteur à considérer. Cet élément ne doit être examiné qu'au moment de déterminer la force probante du témoignage en question. Selon le présent tribunal, si l'on reliait la qualification du statut d'expert à la seule considération financière, aucun des témoins experts entendus à la CLP ne pourrait satisfaire à cette exigence, car tous les experts sont rémunérés par la partie qui requiert leurs services: Fenclo ltée ou Barette Bois inc. et Comité santé et sécurité Fenclo ltée, [2010] C.L.P. 151.