LoiLATMP
TitreIX FINANCEMENT: ART. 281 À 331
Section6. Imputation des coûts: art. 326 à 331
6.4 Imputation qui obère injustement l'employeur: art. 326, al. 2
Titre du document6.4.2 Interprétation «d'obérer injustement»
Mise à jour2011-11-01



Interprétation d'«obérer injustement»

Charge financière lourde ou importante

Le législateur utilise spécifiquement à l’article 326 l’expression «obérer injustement un employeur» et celle-ci doit trouver un contexte d’application qui tient compte de l’entité complète de cette expression. Le transfert ne devrait pas être un automatisme dès qu'apparaît une situation d'injustice. Une analyse des coûts engendrés par cette lésion doit être présente pour tenir compte de la notion d'«obérer» utilisée à l'article 326. Ainsi, le tribunal devrait retrouver une preuve concernant l’aspect financier du dossier qui se situe entre les deux extrêmes que sont, soit une situation de faillite et celle où le transfert de tout montant est accordé, quel qu’il soit. En l'espèce, l'employeur n'a pas démontré que la somme en cause, soit le coût de la lésion professionnelle du travailleur subie à la suite d'une blague d'un collègue, ferait en sorte qu'elle constitue une charge lourde ou serait onéreuse pour lui: Le Groupe Jean Coutu PJC inc.,353645-62-0807, 09-10-14, R. Daniel, (09LP-137).

Répercussions financières

Lorsqu'un employeur demande un transfert d'imputation au motif qu'il a été obéré injustement, il doit, en plus de démontrer qu'il a subi une injustice, présenter une preuve relativement aux répercussions financières de l'imputation du coût des prestations à son dossier. Il reviendra alors au tribunal d'évaluer si, selon les circonstances propres à ce dossier, ces conséquences financières correspondent à la notion d'«obérer» dont il est question à l'article 326: Entreprises de construction Guy Bonneau ltée, [2009] C.L.P. 750.

La simple démonstration que la travailleuse n’a pu être assignée temporairement à des travaux légers ne suffit pas à conclure que son employeur a été obéré injustement. En effet, à lui seul, cet élément peut convaincre le tribunal, selon les circonstances révélées par la preuve, de l’injustice de la situation, mais, en soi, il n’établit pas que l’imputation a pour effet de l’obérer. L’employeur a le fardeau de démontrer que l’imputation à son dossier du coût des prestations dont le transfert est demandé entraîne un impact financier appréciable pour lui. L’existence d’une situation injuste pour l’employeur n’entraîne pas automatiquement le transfert de l’imputation. La démonstration que l’employeur doit faire implique la preuve du fardeau financier accru que l’imputation contestée fait peser sur lui. Selon l’espèce, la signification et l’étendue du concept «obérer» peut varier. Dans certains cas, on soutiendra que le requérant est obéré par le simple fait que l’imputation lui fait assumer des coûts qui auront une influence, même mineure, sur la détermination de son taux de cotisation. À l’extrême opposé, on invoquera que l’imputation faite met l’existence même de l’entreprise en péril en ce qu’elle peut provoquer sa faillite. Dans d’autres cas, on invoquera que l’imputation aura pour résultat d’imposer à l’employeur une charge financière significative. Il appartient au tribunal de décider, dans chaque affaire, si la preuve offerte justifie l’allégation de l'employeur voulant qu’il soit obéré. Dans tous les cas, l’impact financier de l’imputation, quel que soit son degré d’importance, doit être établi. Parfois, dans les cas similaires à celui sous étude, à savoir que le transfert demandé ne vise qu’une partie de l’ensemble du coût des prestations versées, soit pour la période au cours de laquelle un travailleur est rendu incapable de tout travail par une maladie d’origine personnelle, l’importance de l’impact financier pourra être déterminée en fonction de la proportion que représente la portion due à la maladie personnelle sur l’ensemble des coûts résultant de la lésion professionnelle: Marchés Louise Ménard inc., 402536-71-1002, 10-08-26, J.-F. Martel.

Situation d'injustice selon les circonstances

L'employeur n'a pas à faire la preuve que l'imputation a eu pour conséquence de provoquer sa faillite ou de le placer dans une situation financière précaire. L'article 326 ne parle pas de faillite, il ne parle que d'obération dans le sens de fardeau financier indûment ou injustement onéreux compte tenu des circonstances: United Parcel Service of Canada ltée et CSST, 78053-60-9603, 97-03-19, A. Archambault; Hervé Pomerleau inc. et CSST, 103036-03B-9807, 98-11-10, P. Brazeau.

Le mot «obérer» contenu à l'article 326 ne s'interprète pas par rapport à la situation financière de l'employeur. Il faut l'interpréter en fonction de l'adverbe «injustement» et considérer la justesse d'imputer ou non au dossier de l'employeur la somme en question: C.S. Brooks Canada inc., [1998] C.L.P. 195; Lagran Canada inc. (Div. Leedye) et Mendicino, 107156-71-9811, 99-06-14, A. Suicco.

Par l'utilisation du terme «injustement», le législateur avait l'intention de pondérer l'effet du mot «obérer», qui en fait analyse la situation financière de l'employeur, et de donner une portée à cette portion de l'article 326. En effet, en insérant cette disposition d'exception au principe général de financement, l'objectif du législateur en est un d'équité envers un employeur qui se voit imputer des coûts injustement. C'est donc dans cette mesure qu'il convient d'analyser la question sous l'angle de la justice en donnant aux termes «obérer injustement» une interprétation large et libérale et en considérant l'employeur comme obéré injustement lorsqu'il se voit imputer toute somme qui ne doit pas lui être imputée pour une raison de justice selon le bien-fondé du cas plutôt que selon sa situation financière: Corporation d'Urgences Santé de la région de Montréal métropolitain et CSST, [1998] C.L.P. 824; Construction Arno inc. et CSST, [1999] C.L.P. 302; Ville de Montréal, 154493-71-0101, 02-02-26, C. Racine; Maison mère Soeurs des St-Noms de Jésus et Marie et Loiseau, 157536-72-0103, 02-12-12, N. Lacroix.

Une interprétation grammaticale des termes «obérer injustement» a déjà été retenue, exigeant une preuve de situation financière précaire ou de lourde charge financière. Selon cette interprétation, un employeur prospère ne pourrait prétendre que l'imputation des coûts à son dossier le conduit à une situation financière précaire. C'est pourquoi on ne peut retenir une interprétation aussi restrictive. L'imputation doit également être injuste. Dans un tel contexte, l'employeur doit démontrer qu'il supporte certains coûts et qu'il est injuste, dans les circonstances, qu'il les supporte. Cette interprétation n'apporte pas de solution miracle, mais permet d'apprécier chaque cas à son mérite: Gastier inc. et Jones, 84072-71-9611, 99-02-12, C. Racine.

L'interprétation qui veut qu'un employeur soit «obéré injustement» lorsque l'imputation des coûts à son dossier entraîne pour lui un «fardeau financier indûment ou injustement onéreux, compte tenu des circonstances» doit être retenue car elle respecte la lettre et l'esprit de la loi et permet d'apprécier chaque cas à son mérite: Joseph et C.A.E. Électronique ltée, 103214-73-9807, 00-01-06, C. Racine.

Le caractère injuste du fardeau financier que supporte l'employeur ne doit pas reposer uniquement sur des hypothèses. L'injustice doit résulter d'une situation précise assortie de répercussions concrètement établies permettant de conclure que, n'eût été de ces circonstances, l'employeur n'aurait pas eu à supporter le fardeau financier qui en résulte: Robert Mitchell inc. et CSST, 128440-61-9912, 00-07-21, G. Morin, (00LP-45).

L’article 326 parle d’imputation ayant pour effet d’obérer injustement l’employeur et outre les mots utilisés, le législateur ne prévoit aucune limite ni aucun encadrement particulier. Il laisse aux décideurs le soin d'apprécier les circonstances propres à chacun des cas portés à leur attention et de déterminer si celles-ci correspondent aux termes employés dans cet article. En l'espèce, l’employeur a droit au transfert des coûts relatifs au versement de l’IRR pour la période du 10 juin 2006, date de l’accident personnel du travailleur et de l’interruption du retour progressif au travail, au 27 novembre 2006, date de la consolidation de la lésion professionnelle, sans séquelles permanentes: CUSM-Pavillon Hôpital Général de Montréal,360345-71-0810, 09-10-21, C. Racine, (09LP-139).

En faisant usage des termes «obérer injustement», le législateur exprime sa volonté de ne pas déroger au principe d’imputation générale à chaque fois qu’un employeur se voit imposer un coût, si minime soit-il, qui ne découle pas directement ou exclusivement de la lésion professionnelle. En l'espèce, l’injustice causée à l’employeur par la reprise du versement de l’IRR entre le 31 décembre 2005 et le 3 février 2006 a déjà été indirectement compensée par les économies qu'il a réalisées pendant les nombreux mois de suspension du versement de l’IRR du travailleur qui a refusé d'effectuer l'assignation temporaire autorisée par son médecin traitant. Dans l’ensemble, l’employeur n’a pas été obéré injustement: Transport W Cyr 1984 inc.,329405-64-0710, 09-10-29, T. Demers, (09LP-138).

C'est le critère de l’injustice pour l’employeur en raison de la situation ici invoquée, soit la survenue d’une maladie intercurrente chez le travailleur et des effets de cette maladie sur les coûts imputés au dossier de l’employeur, qui doit être appréciée par le tribunal, sans devoir chercher à déterminer s’il s’agit pour autant d'une proportion significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause. Comme la condition personnelle d’AVC du travailleur l’a empêché de reprendre un travail chez l’employeur à compter du 28 septembre 2006, le versement de l'IRR à compter de cette date constitue une «injustice» pour l'employeur au sens de l’article 326. Toutefois, cette «injustice» a cessé le 1er mars 2008, soit à la date où le travailleur a bénéficié d’une offre de préretraite proposée par l’employeur: Mittal Canada inc. (Contrecoeur), 350247-62B-0806, 10-03-19, M. Watkins, (09LP-238).

Situation d'injustice et proportion significative des coûts

L'employeur sera «obéré injustement» dans la mesure où le fardeau financier découlant de l'injustice alléguée est significatif par rapport au fardeau financier découlant de l'accident du travail. Ainsi, la notion «d'obérer», c'est-à-dire «accabler de dettes», doit être appliquée en fonction de l'importance des conséquences monétaires de l'injustice en cause par rapport aux coûts découlant de l'accident du travail lui-même. La notion d'injustice, pour sa part, se conçoit en fonction d'une situation étrangère aux risques que l'employeur doit assumer, mais qui entraîne des coûts qui sont rajoutés à son dossier. L'employeur a donc le fardeau de démontrer deux éléments: une situation d'injustice, c'est-à-dire une situation étrangère aux risques qu'il doit supporter, et une proportion des coûts attribuables à la situation d'injustice qui est significative par rapport aux coûts découlant de l'accident du travail en cause: Location Pro-Cam inc. et CSST, 114354-32-9904, 02-10-18, M.-A. Jobidon, (02LP-121); Emballage consumers inc., 176974-64-0201, 03-01-27, R. Daniel.

La sacro-iliite alléguée par le travailleur en 2001 comme une RRA a été reconnue plutôt comme ayant toujours été présente depuis l'événement initial subi en 1998. La décision tardive de reconnaître une sacro-iliite droite fait en sorte d’ajouter des frais importants dans le dossier de l’employeur. La détermination de la capacité du travailleur à exercer un emploi convenable aurait eu lieu bien avant juillet 2004. L’IRR qui a été accordée de façon rétroactive, en raison de la décision rendue par la CLP en novembre 2002 reconnaissant que le travailleur s’est infligé, outre une contusion dorso-lombaire déjà reconnue, une sacro-iliite droite non encore consolidée à la date de consolidation de la contusion, soit le 9 février 1999, constitue un fardeau financier important pour l’employeur: Concordia Construction inc., 290622-03B-0605, 08-04-08, A. Suicco, (08LP-34) (décision accueillant la requête en révision).

L’analyse faite sous l’angle «de l’injustice» ne correspond pas à la volonté exprimée par le législateur au second alinéa de l’article 326. À cet article, le législateur ne fait pas mention qu’il y a lieu d’accorder un partage de l’imputation à chaque fois qu’un employeur fait «injustement» l’objet d’une imputation d’un coût, car si tel était le cas, il l’aurait exprimé clairement en faisant abstraction du mot «obérer». Or, ce n'est pas ce qu’il a fait et comme le législateur n’a pas l'habitude de parler pour ne rien dire, il faut nécessairement donner un sens à l’ensemble de ses propos, notamment au mot «obérer». Cela étant, le courant jurisprudentiel qui doit prévaloir est celui qui accorde un transfert de l’imputation seulement lorsqu’une situation d’injustice dûment établie a eu pour effet d'accabler un employeur d’un coût additionnel significatif en comparaison de celui qu’il a, de toute façon, l’obligation légale de supporter en raison de l'accident de travail survenu à un de ses employés. En fait, en faisant usage des termes «obérer injustement» le législateur exprime sa volonté de ne pas déroger au principe d’imputation général à chaque fois qu’un employeur se voit imposer un coût, si minime soit-il, qui ne découle pas directement ou exclusivement de la lésion professionnelle: Gastier M.P. inc., 372876-64-0903, 09-11-10, T. Demers.

Situation en dehors du contrôle de l'employeur

Il serait injuste d'imputer à l'employeur le coût des prestations se rapportant à la lésion professionnelle du travailleur. Le travailleur n'a pas respecté les règles de sécurité mis en place par l'employeur et il a volontairement accepté les risques reliés à l'omission de porter ses bottes de sécurité dans l'atelier de soudure, et ce, alors qu'il travaillait après les heures de travail, échappant ainsi au contrôle de l'employeur: Commission scolaire Abitibi, 150651-08-0011, 01-08-15, P. Prégent, (01LP-82).

La CLP ne peut retenir que le travailleur fait preuve de négligence grossière et volontaire au sens de l'article 27. Toutefois, son comportement est au détriment de son employeur qui, dans les circonstances, est totalement impuissant. En effet, celui-ci n'a aucun moyen de contrôler la situation et d'empêcher l'accident du travail: Forages Garant et frères inc., 172692-08-0111, 03-01-27, P. Prégent.

L’accident du travail survenu au travailleur résulte d’un jeu dangereux, d’une mauvaise blague et non du fonctionnement défectueux d’un outil de travail fourni par l'employeur. En vertu de l'article 326, les coûts relatifs à cette lésion professionnelle doivent être transférés aux employeurs de toutes les unités. Il serait injuste d’imputer ces coûts à l’employeur car les circonstances de l’accident échappent à son contrôle. Il a fait ce qu’il fallait pour assurer la sécurité des travailleurs et les règles de sécurité qu’il a mises en place n'ont pas été respectées par des travailleurs qui ont par ailleurs admis les connaître: Portes Milette inc., 306060-04-0612, 07-05-02, D. Lajoie, (07LP-54).

Situation étrangère aux risques inhérents aux activités d’un employeur

Même si la somme impliquée est importante, on ne peut considérer que l'imputation de la totalité des coûts à l'employeur est injuste, les faits à l'origine de la lésion étant inhérents aux fonctions du travailleur et indissociables des activités économiques de l'employeur: Hervé Pomerleau inc. et CSST, 103036-03B-9807, 98-11-10, P. Brazeau.

L'employeur n'a pas démontré le caractère injuste de l'imputation. Il est évident qu'une réclamation pour décès est davantage onéreuse qu'un accident banal avec peu de conséquences, surtout lorsque des prestations sont versées à la conjointe. Mais cette seule allégation ne peut suffire à conclure que l'employeur est obéré injustement. On ne peut conclure qu'il serait injuste qu'un employeur dont les travailleurs sont fréquemment sur la route assume les risques reliés aux conditions routières. Les faits et circonstances allégués par l'employeur sont indissociables de l'exercice de ses fonctions économiques: Marcel Benoit 1985 inc. et Ministère des Transports, 180134-61-0203, 02-10-22, L. Nadeau.

L'arrêt cardiaque d'un collègue de travail entraînant son décès ne constitue pas un risque particulier ou inhérent à la nature de l'ensemble des activités exercées par l'employeur, fût-il un centre hospitalier où l'on côtoie la mort. Il s'agit en somme d'une situation fortuite, totalement en dehors du contrôle de quiconque. Il y a une injustice à imputer un employeur pour des événements sur lesquels il ne peut exercer aucun contrôle: Centre hospitalier Royal Victoria et CSST, 188782-72-0208, 03-01-21, P. Perron.

L'employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur alors qu'il maîtrisait un patient. Il n'est pas obéré injustement du fait qu'il a été dans l'obligation de traiter un patient provenant d'un autre secteur psychiatrique à même son budget car il était au fait des risques inhérents à ce type de patient: Réseau santé Richelieu-Yamaska, 190810-62B-0209, 03-06-18, M.-D. Lampron, (03LP-87).

Le deuxième alinéa de l'article 326 ne peut s'appliquer à l'employeur car les événements qui ont mené à la lésion professionnelle de la travailleuse, soit un trouble d'adaptation, se sont produits dans le milieu de travail et, comme il s'agit d'un cumul de plusieurs agissements fautifs du collègue de travail harceleur, cette situation n'est pas étrangère aux risques que l'employeur doit assumer. Les liens de subordination et le contrôle de l'environnement de travail relèvent de la gestion du personnel de l'employeur qui est assujetti à différentes lois, notamment la LSST qui oblige l'employeur à fournir un milieu respectant l'intégrité physique et psychique de ses travailleurs: Corporation Urgences-Santé région Montréal et CSST, 179220-01A-0202, 03-10-02, R. Deraîche, (03LP-178).

La cessation d’une assignation temporaire, peu importe le motif, bien qu’elle engendre des coûts additionnels au dossier financier d’un employeur vu la reprise des versements de l’IRR, ne constitue pas une injustice. Une mise à pied ne constitue pas une situation étrangère aux risques que l’employeur doit assumer, considérant les aléas économiques et les conjonctures mondiales relativement aux sources d'instabilité pour les constructeurs dans le domaine aéronautique, les grandes compagnies aériennes ou les transporteurs aéronautiques. Qu’il y ait eu ou non survenance des événements du 11 septembre 2001(attentats terroristes) ne changeait en rien le droit des travailleurs, qui ont vu leur assignation temporaire prendre fin, au versement d’IRR puisque ce droit était né et actuel avant ces événements et avant la mise à pied massive. Dans un tel contexte, l’employeur ne peut prétendre que l’application de la loi constitue une injustice à son égard: Bombardier inc. aéronautique et CSST, [2004] C.L.P. 1817.

L'employeur est propriétaire du stationnement où s'est produite la chute du travailleur à bicyclette en raison d'un nid de poule. L'employeur essaie de se soustraire aux coûts générés par cette lésion professionnelle en prétendant que cet accident ne fait pas partie de ses activités. Cet argument, développé dans les cas d'accident attribuable à un tiers, n'est d'aucune utilité lorsque l'employeur invoque plutôt être obéré injustement. En fait, suivre l'employeur sur cette voie ferait en sorte que tous les coûts des accidents survenus à l'occasion du travail devraient être retranchés du dossier d'expérience de l'employeur puisqu'ils arrivent généralement en dehors des activités exercées par ce dernier (stationnement, pause-café, etc.): C.H. Royal Victoria, 229634-71-0403, 04-11-16, C. Racine.

Bien que l'employeur ait agi de façon responsable dans la gestion du conflit de harcèlement dans le milieu de travail, ce constat n’est pas déterminant ni même pertinent pour évaluer si la situation d’injustice invoquée fait partie des risques inhérents aux activités d’un employeur. En effet, le transfert des coûts prévu à l'article 326 n’est pas une «récompense» pour un employeur qui est muni d’un bon programme de prévention ou pour un employeur qui se comporte de façon responsable dans la gestion d’un conflit. La notion d’obérer injustement repose sur la conclusion selon laquelle la situation d’injustice invoquée ne fait pas partie des risques inhérents aux activités d’un employeur. Or, la situation de harcèlement ayant causé la lésion professionnelle s’est développée et s’est intensifiée dans l’exercice même des tâches d'enseignants, soit principalement à l’occasion des réunions départementales et des discussions ayant trait à l’implantation d'un nouveau programme d’enseignement, ce qui relève directement de la mission même de l’employeur: Cégep de Sainte-Foy,[2007] C.L.P. 469.

Il n'est pas injuste d'imputer à l'employeur au service duquel se trouve un travailleur victime d'une lésion professionnelle le coût des prestations dues en raison de cette lésion pour le motif que l'accident est survenu à l'occasion du travail et non par le fait du travail. Si le législateur l'avait voulu ainsi, il aurait spécifié, en son article 326, que le coût des accidents qui surviennent à l'occasion du travail ne doit pas être imputé à l'employeur et que la règle générale d'imputation s'applique uniquement pour les accidents qui surviennent par le fait du travail. L'article 326 n'est pas libellé ainsi. Le premier alinéa de cet article est clair et ne laisse pas place à interprétation: Centre universitaire de santé McGill, 263190-64-0505, 07-07-24, M. Montplaisir.

Dans l’analyse de l’injustice causée à l’employeur par l’imputation à son dossier financier des sommes versées au travailleur en raison de sa lésion professionnelle, il faut prendre en compte les risques particuliers ou inhérents à la nature de l’ensemble de ses activités économiques: Quebecor World Lasalle (Dumont), 299043-63-0609, 08-01-28, J.-P. Arsenault.

Bien qu’il ne s'agisse pas d’un accident attribuable à un tiers, il est pertinent et approprié de référer aux critères retenus dans l’affaire Ministère des Transportspour déterminer s’il y a une injustice dans la mesure où, comme c’est le cas en matière d’accident attribuable à un tiers, ce sont les circonstances entourant l'accident du travail qui sont alléguées, plutôt que les conséquences qui en résultent, pour démontrer l’injustice: Transformation B.F.L., 346607-04-0804, 08-11-24, D. Lajoie.

Négligence

La recherche d'une négligence autre que la négligence grossière et volontaire ne doit pas servir à obtenir un transfert d'imputation en application du deuxième alinéa de l'article 326, lequel vise des situations particulières et non la simple négligence ou l'erreur d'un individu. La négligence ou l'erreur ne constituent pas des fautes grossières et volontaires visées par l'article 27. Les lésions professionnelles surviennent généralement dans des circonstances où, en cherchant un tant soit peu, on pourrait identifier des fautes ou des erreurs et même des négligences de toutes sortes. Or, l'article 25 énonce que les droits conférés par la loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque. À la lumière de cet article, la recherche de fautes, sauf celle d'un tiers, aux fins d'obtenir un transfert d'imputation va à l'encontre de l'intention du législateur: Les portes Cascades inc., 222464-62B-0312, 04-05-11, Y. Ostiguy.

Pour que l’employeur bénéficie d’un transfert d’imputation, il faut démontrer plus qu’une simple omission ou distraction. Il faut que le geste reproché soit assimilable à un geste «téméraire», «volontaire», «sans aucun respect des règles et des consignes de sécurité en place chez l’employeur». S’il fallait que chaque négligence, chaque oubli d’un travailleur dans l’exercice de ses fonctions puissent faire l’objet d’une demande de transfert d’imputation, l’article 25, article capital disant que les «droits conférés par la présente loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque», n’aurait plus sa raison d’être et serait dépourvu de tout sens: Transport Jacques Auger inc. et Durocher, 251641-64-0412, 07-01-22, G. Robichaud.

Négligence grossière et volontaire

La question de la négligence grossière et volontaire du travailleur ne peut être soulevée dans le cadre d'une audience sur l'imputation des coûts mais plutôt dans le cadre d'une audience sur l'admissibilité d'une lésion puisque l'article 27 se retrouve dans le chapitre des dispositions générales au sujet de la lésion professionnelle: Albany Bergeron et Fils inc. et Cogésis inc., 216031-08-0308, 04-02-18, P. Prégent, (03LP-321).

Dans un cas comme celui prévu à la fin de l’article 27, l’intention du législateur d’indemniser certains travailleurs négligents, de façon exceptionnelle, n’est nullement incompatible avec le fait de ne pas en faire supporter les coûts à un employeur. Cependant, la question de la négligence grossière et volontaire ne peut pas être soulevée dans le cadre d’une audience sur l’imputation des coûts, mais plutôt dans celui d’un litige sur l’admissibilité d’une lésion, puisque cet article se retrouve dans le chapitre des dispositions générales au sujet de la lésion professionnelle: Produits forestiers Tembec (Division Béarn) et CSST, [2005] C.L.P. 1420, révision rejetée, 251629-08-0412, 06-07-18, M. Carignan.

Le décès du travailleur est attribuable à sa mauvaise méthode d'abattage des arbres. La négligence grossière et volontaire du travailleur ayant entraîné son décès constitue une situation étrangère aux risques que doit supporter l'employeur et, en conséquence, une situation injuste pour lui: Groupement forestier coopératif St-François, 263715-05-0506, 07-12-18, M. Allard.

Relation avec l'article 329

Un souci d'équité et une recherche d'égalité doivent prévaloir en matière de financement afin d'éviter que les employeurs soient injustement obérés pour des lésions professionnelles. Les articles 326 et 329 doivent s'interpréter l'un par rapport à l'autre et la CSST ne doit pas analyser un partage de coûts seulement sous l'angle de l'existence d'une déficience chez le travailleur mais également sous l'angle d'une possible obération injuste de l'employeur: Domtar inc. et Lemieux, [1995] C.A.L.P. 899; Coopérative fédérée du Québec et CSST, [1995] C.A.L.P. 1547; V. Boutin Express inc. et CSST, [1995] C.A.L.P. 1534; Coop. fédérée de Québec et Succession Jocelyn Babin, [1995] C.A.L.P. 1541.

La CSST doit tenir compte, lors de l'imputation, des coûts d'une condition personnelle qui a joué un rôle dans la survenance de la lésion professionnelle ou sur la période de consolidation afin de ne pas obérer injustement l'employeur: Domtar inc. et Lemieux, [1995] C.A.L.P. 899; V. Boutin Express inc. et CSST, [1995] C.A.L.P. 1534; Coop. fédérée de Québec et Succession Jocelyn Babin, [1995] C.A.L.P. 1541.

La CSST ne doit pas analyser un partage de coûts seulement sous l'angle de l'existence d'une déficience mais également sous l'aspect d'une possible obération injuste de l'employeur. La CSST ne peut conclure que l'employeur n'a pas droit au partage simplement parce qu'il n'a pas été capable d'établir une déficience préalable du travailleur. L'appréciation des droits de l'employeur doit se faire par la CSST, qui est mieux placée que l'employeur sur ce point, dès que le profil de traitement est déviant par rapport à la moyenne des dossiers analysés et traités par la CSST. Attendre les contestations ou les expertises de l'employeur entraîne lourdeur et iniquité: Coopérative fédérée du Québec et CSST, [1995] C.A.L.P. 1547.

Considérer que l'employeur est obéré injustement chaque fois qu'une lésion professionnelle entraîne une consolidation plus longue ou une incapacité plus importante que celles prévues équivaudrait pratiquement à imputer continuellement aux autres employeurs les conséquences de la lésion professionnelle survenue chez l'employeur, ce qui n'inciterait aucunement ce dernier à prendre des mesures de prévention: Centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont et Boudrias, [1996] C.A.L.P. 1498; Ville de Montréal et Hogue, 40785-62-9206, 97-05-20, M. Kolodny, (J9-04-08).